DEUXIÈME PARTIE

Les Ministres de l'Appel divin

au Sacerdoce ou les Appelants

 

 

deuxième partie

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Les ministres de l'appel divin ou les appelants

 

PROLOGUE

 

257. — Justification du titre de la deuxième partie. Le titre de cette deuxième partie, s'il a pu causer quelque étonnement dès le début de cet ouvrage, ne doit plus surprendre ceux qui ont lu avec quelque attention les pages qui précèdent.

Oui, il y a, de par le monde, des hommes chargés de déférer l'appel sacerdotal ; car, s'il est un appel de Dieu, cependant il n'est jamais prononcé, au sens plein et parfait, que par l'organe des ministres légitimes de l'Eglise: "Vocari autem a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiæ ministris vocantur (1)."

Qu'on veuille bien remarquer, dans cette déclaration du Catéchisme Romain, la répétition intentionnelle du même verbe " vocari... vocantur... ". On veut nous déclarer par là qu'il n'y a pas d'autres appelés de Dieu que ceux que choisissent et appellent les ministres légitimes de l'Eglise, tout comme il n'y a pas d'autre pain transsubstantié par Dieu que le pain choisi et transsubstantié par les prêtres.

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(1) Cf. n° 23, 27.

 

258. — Diverses catégories d'appelants. Mais quels sont donc ces hommes investis du pouvoir redoutable de distribuer des vocations, au même titre que les prêtres distribuent des consécrations ?

Nous l'avons déjà insinué. Le recrutement du sacerdoce est, au premier chef, un acte de juridiction au for extérieur. C'est donc au Pape et aux évêques qu'appartient cet acte sacré, comme aux détenteurs du pouvoir civil le recrutement des soldats et la nomination des fonctionnaires.

Dans l'Eglise, en effet, seuls le Pape et les Évêques sont les gouvernants: le Pape pour l'Eglise universelle ; chaque évêque dans les limites territoriales de son diocèse.

Voilà donc les ministres attitrés, légitimes, à qui incombe la prérogative de déférer aux candidats au sacerdoce l'honneur de l'appel divin et le droit à l'ordination qui en découle.

Au-dessous d'eux, il y a d'autres personnes qui prennent une part plus ou moins large à l'œuvre de l'appel et concourent chacune dans une certaine mesure à cette grande action: faire un prêtre.

On peut les diviser en deux catégories : ceux qui appellent en vertu d'un pouvoir délégué ; ceux qui préparent le candidat à l'appel.

Nous distinguerons donc trois sortes d'appelants :

1) Les appelants ordinaires ou proprement dits,

2) Les appelants délégués,

3) Les appelants auxiliaires, ou auxiliaires des appelants.

 

 

CHAPITRE I.

Les appelants ordinaires ou proprement dits

 

Les appelants proprement dits sont — outre le Pape dont nous n'avons pas à parler ici — les chefs de diocèse, les évêques. Disons, à ce point de vue, leurs prérogatives et leurs devoirs.

 

 

ARTICLE I.

PRÉROGATIVE DES ÉVÊQUES AD SUJET DE L'APPEL AU SACERDOCE.

 

259. — Le pouvoir d'appeler est ordinaire chez les évêques. La prérogative d'appeler au sacerdoce est, chez les évêques, un pouvoir ordinaire au sens canonique du mot, c'est-à-dire, un pouvoir attaché à leur fonction même.

L'Evêque a pour fonction de pourvoir aux besoins spirituels de son diocèse. Et, s'il est évident que le diocèse a premièrement besoin de prêtres et de bons prêtres, c'est donc à l'Evêque que revient le devoir, et, par suite, le pouvoir de choisir les candidats au sacerdoce. Ce choix constitue pour l'élu, ainsi que nous l'avons abondamment prouvé, le véritable appel, la " vocatio " proprement dite, dont parle saint Paul.

260. — Validité et licéité de l'appel sacerdotal. La prérogative d'appeler au sacerdoce étant chez les évêques un pouvoir ordinaire, ils l'exercent toujours validement. Un candidat appelé par eux peut et doit toujours se dire qu'il est appelé par Dieu. Même s'il a usé de fraude pour extorquer l'appel, sa vocation demeure valide, bien qu'il ait péché gravement en la sollicitant et se soit mis dans un grave danger au point de vue du salut éternel. Nous reparlerons de ce cas plus loin, à propos des vocations per" missives.

Si les évêques exercent toujours validement le pouvoir d'appeler, ils ne l'exercent licitement que s'ils ont constaté par un jugement prudent que le sujet est vraiment apte " idoneus " aux fonctions sacerdotales et aux graves obligations qu'elles comportent.

On pourrait ici prendre pour exemple le pouvoir que possède également l'évêque, de donner l'approbation, pour administrer le sacrement de pénitence. Il la confère toujours validement à tout vrai prêtre qui la lui demande. Il ne la confère licitement que s'il s'est assuré par lui-même ou par d'autres " de idoneitate sacerdotis ad confessiones excipiendas ".

De même, avant de proposer l'appel, il doit s'assurer des dispositions du sujet ; l'appel n'est licitement prononcé que s'il présuppose ce que nous avons appelé le jugement d'idonéité.

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261. — Délégation de la fonction d'appeler. Ce jugement sur l'idonéité, ou vocabilité du sujet, peut être porté par l'évêque lui-même, ou par des prêtres de son choix, à qui il délègue cette délicate fonction, en même temps que celle d'appeler au sacerdoce.

262. — L'appel officiel. L'évêque appelle officiellement à l'heure même des ordinations. C'est à ce moment précis qu'il demande, explicitement ou implicitement, à ceux qu'il a délégués pour le choix des ordinands, si les sujets qu'ils lui présentent sont vraiment dignes : " scis illos dignos esse ? "

Cette question retentit, en termes formels, avant la collation du diaconat, qui est l'ordination la plus voisine du sacerdoce ; mais elle est surtout posée au sujet des diacres qui sont sur le point de recevoir la prêtrise.

C'est à ce moment précis qu'est déféré l'appel divin au sacerdoce (1). Les appels précédents aux Ordres inférieurs n'étaient que les préliminaires de celui-ci. Celui-ci est la vocation " vocatio " strictement sacerdotale, l'appel à l'auguste fonction d'offrir le sacrifice : "Omnis Pontifex... instituitur... ut offerat dona et sacrificia pro peccatis (2)."

C'est donc au sujet des diacres présentés pour la prêtrise que la parole de l'évêque se fait plus instante et plus alarmée, quand il pose la question décisive : " scis illos dignos esse ? "

Terrible responsabilité pour ceux qui sont ainsi mis en demeure de se prononcer en si délicate et si importante matière. De quelles poignantes perplexités leur réponse a été précédée parfois ! Ceux-là seuls le savent qui ont dû juger certains cas... Nous dirons tout à l'heure leurs droits et leurs devoirs.

  1. — Responsabilité de l'évêque. Quoi qu'il en soit : que l'Evêque juge par lui-même ou par d'autres de la vocabilité ou idonéité des sujets, il demeure le principal responsable des appels qui sont faits. En cette matière surtout, il ne doit déléguer sa confiance qu'à des hommes sûrs, et, s'il s'aperçoit qu'ils n'accomplissent pas leur mandat avec toutes les garanties requises

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(1) Cf. supra n° 99, 100.

(2) Hebr. V, i.

 

 

ARTICLE II.

DEVOIR DES ÉVÊQUES AU SUJET DE L'APPEL AUX ORDRES.

264. — Règles générales. Les règles générales, tracées aux évêques par le Saint-Siège, en ce qui regarde l'appel aux Ordres, paraissent se ramener aux suivantes :

1) II est interdit d'appeler aux Ordres un sujet, atteint de quelqu'une des irrégularités de droit commun.

On appelle irrégularités, certains défauts qui, en vertu d'une loi canonique, et sauf le cas de dispense, sont un obstacle à la réception et à l'exercice des saints Ordres.

Elles sont de deux sortes : ex defectu et ex delicto. Les irrégularités ex defectu ne supposent pas nécessairement un péché, commis par le sujet qui en est frappé. Elles résultent d'un défaut qui rend un sujet plus ou moins impropre au ministère des autels.

Les irrégularités ex delicto supposent toujours une faute grave, un péché mortel, extérieur, et consommé dans son espèce.

2) Il n'est pas permis à l'évêque d'appeler, de son propre chef, aux Ordres celui qui ne serait pas son sujet, à quelqu'un des titres prévus par le droit commun (1).

3) Il est pareillement défendu d'ordonner un sujet qui ne serait pas utile ou nécessaire à l'Eglise ou à l'œuvre pie à

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(1) " Meminerint Episcopi fas sibi non esse nomine proprio manus cuiquam imponere qui subditus sibi non sit eo modo et uno in ex iis titulis qui in Constitutione Speculatores Innocentii XII et in decreto S.C. Concilii quod incipit A primis die 20 Julii 1898 statuuntur. " S. C. Concilii Decr. Vetuit 22 déc. 1905.

 

laquelle on le destine : c'est la prescription du Concile de Trente récemment rappelée aux évêques par la Sacrée Congrégation du Concile (1).

4) Enfin aucun Ordinaire ne peut accepter dans son Séminaire — ni par conséquent appeler aux Ordres — un sujet d'un autre diocèse, soit clerc, soit laïque, sans s'être d'abord informé, par lettres confidentielles, auprès de l'évêque du demandeur, si celui-ci n'a pas été renvoyé du Séminaire. (Voir ci-dessus, n° 178).

Dans l'affirmative, sans apprécier les motifs du renvoi, sans déterminer si l'autre évêque a agi justement ou injustement, il refusera au postulant l'entrée de son Séminaire.

Telle est en propres termes la législation édictée par la Sacrée Congrégation du Concile dans le décret Vêtait du 22 décembre 1905 (2).

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(1) — " Ac pariter neminem ordinari posse qui non sit utilis aut necessarius pro ecclesia aut pio loco pro quo assumitur, juxta prœscripta a S. Tridentino Concilio in Cap. XVI sess. xxiii de Reform. "

(2) " Ut in posterum nullus loci Ordinarius alterius diœcesis subditum sive clericum sive laïcum in suum Seminarium admittat nisi prius secretis litteris ab Episcopo oratoris proprio expetierit et cognoverit, utrum hic fuerit olim e suo Seminario dimissus. Quod si constiterit, omittens judicare de causis, aut determinare utrum juste an injuste alius Episcopus egerit, aditum in suum Seminarium postulanti prœcludat " (Loc. cit.).

Le décret ajoute : Quant à ceux qui ont été acceptés de bonne foi, parce qu'ils ont passé sous silence le fait d'avoir été déjà dans un autre Séminaire et d'en avoir été chassés (l'hypothèse paraît bien difficile), dès que leur situation sera connue, on les avertira de se retirer. L'Ordinaire peut cependant les autoriser à rester, mais en les rattachant définitivement au diocèse, et il leur sera toujours interdit de fixer leur domicile dans le diocèse où se trouve le Séminaire, d'où ils ont été renvoyés.

Cette législation a été étendue aux Ordres religieux, de sorte qu'un sujet renvoyé se voit fermer tous les chemins qui conduisent au sacerdoce.

Voici le passage principal du décret du 7 sept. 1909, qui a pour titre : Decretum de Quibusdam Postulantibus in Religiosas Familias non Admittendis.

" Nullimode, absque speciali venia Sedis Apostolicœ, et sub pœna nullitatis professionis, excipiantur, sive ad novitiatum sive ad emissionem votorum postulantes ;

1°) Qui e collegiis etiam laïcis ob inhonestos mores vel ob alia crimina expulsi fuerint ;

2°) Qui e Seminariis et collegiis ecclesiasticis vel religiosis QUACUMQUE RATIONE dimissi fuerint.

3°) Qui, sive ut professi sive ut novitii, ab alio Ordine vel congregatione religiosa dimissi fuerint.

Dans cette législation, il est facile de constater que l'Eglise se pose en maîtresse absolue de l'appel sacerdotal et qu'elle ne se croit liée par aucun droit de vocation divine dans les sujets.

Or, si Dieu appelait directement, qui garantirait à l'Eglise qu'elle ne brisera pas des vocations divines et qu'elle ne jettera pas bien des sujets en dehors de leurs voies providentielles ?

 

265.— Grande prudence dans le choix des candidats. Relativement à ceux qui réalisent les quatre conditions que nous venons d'énumérer, le Saint-Siège recommande encore la plus grande prudence pour les appeler aux Ordres.

Nous trouvons cette exhortation pressante, sous la plume de notre glorieux Pape Pie X, dès sa première Lettre Encyclique : " E supremi Apostolatus cathedra ", où il expose le programme de son Pontificat.

Restaurer toutes choses dans le Christ : " Instaurare omnia in Christo " ; tel est son but. Pour l'atteindre, il convie les Evêques à le seconder de toutes leurs forces. Mais quel moyen devront-ils employer en première ligne ?

La réponse du Pape est sublime : " Que vos premiers soins soient de former le Christ dans ceux qui, par le devoir de leur vocation, sont destinés à le former dans les autres. "

Il continue : " S'il en est ainsi, Vénérables Frères, combien grande ne doit pas être votre sollicitude pour former le clergé à la sainteté ! Il n'est affaire qui ne doive céder le pas à celle-ci.

" Et la conséquence, c'est que le meilleur et le principal de votre zèle doit se porter sur vos Séminaires, pour y introduire un tel ordre et leur assurer un tel gouvernement, qu'on y voie fleurir côte à côte l'intégrité de l'enseignement et la sainteté des mœurs.

" Faites du Séminaire les délices de votre cœur : " Seminarium cordis quisque vestri delicias habetote ", et ne négligez rien de ce que le Concile de Trente a prescrit, dans sa haute sagesse, pour garantir la prospérité de cette institution.

" Quand le temps sera venu de promouvoir les jeunes candidats aux saints Ordres, ah ! n'oubliez pas ce que saint Paul écrivait à Timothée : " N'imposez précipitamment les mains à personne ", vous persuadant bien que, le plus souvent, tels seront ceux que vous admettrez au sacerdoce, et tels aussi, dans la suite, les fidèles confiés à leur sollicitude.

" Placez-vous donc au-dessus de tout intérêt particulier, mais ayez uniquement en vue Dieu, l'Eglise, le bonheur éternel des âmes, afin d'éviter, comme nous en avertit l'Apôtre, de participer aux péchés d'autrui (1). "

266. — Examen sérieux des candidats. C'est donc une grande prudence et une circonspection extrême, qui sont recommandées à l'évêque, pour l'appel aux Ordres.

Chose merveilleuse, cette préoccupation que montre Pie X, dès le début de son pontificat, au sujet des ordinands, nous la retrouvons, au même degré, chez celui de ses prédécesseurs immédiats dont il a pris le nom : le saint et glorieux Pie IX. Lui aussi, dès qu'il est assis sur le siège de Pierre, se tourne vers les Séminaires, suppliant les évêques de n'appeler

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(1) Quum ad hoc ventum erit ut candidati sacris initiari debeant, ne, quœso, excidat anima quod Paulus Timotheo prœscripsit ; " Nemini cito manus imposueris. " (I TIM. v, 22) ; illud attentissime reputando, tales plerumque fideles futuros quales fuerint quos sacerdotio destinabitis.

Quare ad privatam quamcumque utilitatem respectum ne habetote; sed unice spectetis Deum et Ecclesiam et sempiterna animarum commoda, ne videlicet, uti Apostolus prœcavet, communicetis peccatis alienis (ibid.).

PIE X, Encycl. E, supreni Apostolatus, 4 oct. 1903.

 

aux saints Ordres, que les candidats dont ils auront longuement et scrupuleusement examiné les vertus et la science, pour s'assurer qu'ils seront vraiment le salut et l'honneur des diocèses (1).

Peu de temps après, Pie IX ne peut se retenir d'adresser une seconde fois aux évêques la même recommandation : " Temperare nobis non possumus quin commendemus denuo, quod in prima nostra ad totius orbis Episcopos Encyclica inculcavimus (2). "

Tant le sujet est grave et important !

" Surtout au sujet de ceux qui désirent être appelés aux ordres, il est nécessaire que les évêques cherchent à se rendre compte, par un examen long et minutieux, s'ils se recommandent par cette science, cette sainteté de mœurs, ce zèle pour le culte divin, qui fassent concevoir l'espérance certaine qu'ils seront, dans la maison du Seigneur, comme des lumières ardentes, et que, par leur conduite et leur zèle, ils procureront l'édification et le salut du troupeau (3). "

267. — Sévérité plus grande quand les sujets sont nombreux. Les évêques sont invités à se montrer plus difficiles pour l'admission aux Ordres, quand ils ont abondance de sujets. " Il sera fort utile, Vénérables Frères, d'avoir toujours

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(1) Vobis summopere cavendum est ne cuipiam juxta Apostoli prœceptum, cito manus imponatis, sed eos tantum sacris initietis ordinibus ac sanctis tractandis admoveatis mysteriis, qui accurate exquisiteque explorati ac virtutum omnium ornatu et sapientiæ laude spectati vestris diœcesibus usui et ornamento esse possint... cunctisque afferant venerationem et populum ad Christianœ religionis institutionem fingant, excitent atque inflamment.

PIE IX. Encycl. Qui pluribus, 9 nov. 1846.

(2) PIE IX. Encycl. Nostis et nobiscum, 8 déc. 1849.

(3) " De iis prœsertim qui sacris ordinibus initiari desiderent inquirere, et diu multumque investigare opus est, num ea doctrina, gravitate morum et divini Cultus studio commendentur, ut certa spes affulgeat fore ut tanquam lucernœ ardentes in domo Domini, eorum vivendi ratione atque opera œdificationem et spiritualem vestro gregi utilitatem afferre queant. " PIE IX (Ibid.).

 

présent le grave avertissement de l'Apôtre à Timothée : Manus cito nemini imposueris. " N'impose hâtivement les mains à personne. "

" En effet, cette facilité dans l'admission aux Ordres sacrés, qui ouvre naturellement la voie à la multiplication des personnes dans le sanctuaire, par la suite n'augmente pas la joie .

" Nous savons des villes et des diocèses où, loin qu'on puisse se plaindre de l'insuffisance du clergé, le nombre des prêtres est de beaucoup supérieur à celui qu'exigé le service des fidèles.

" Et quel motif, Vénérables Frères, de rendre si fréquente l'imposition des mains ?

" Si le manque de prêtres ne peut être une raison suffisante pour agir avec précipitation dans une affaire d'une aussi haute gravité, là où le clergé dépasse les besoins, rien ne dispense des plus sérieuses précautions et de la plus grande sévérité dans le choix de ceux qui doivent être appelés à l'honneur du sacerdoce (1). "

268. — Une certaine sévérité toujours. Même si les candidats sont rares, les évêques ne doivent pas se relâcher d'une certaine sévérité pour appeler aux Ordres.

" Comme l'enseigne très sagement notre prédécesseur Benoît XIV, d'immortelle mémoire, il vaut beaucoup mieux avoir peu de prêtres, mais dignes, mais capables et utiles, que d'en posséder un grand nombre qui ne serviraient en rien à l'édification du Corps du Christ, de l'Eglise Catholique (2). "

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(1) PIE X Encycl. Pieni l'animo 28 julii 1906. Nous avons déjà commenté ces paroles significatives. N° 35, 36.

(2) " Melius enim profecto est, ut sapientissime monet immortalis mémoriæ Benedictus XIV decessor noster, pauciores habere ministros, sed probos, sed idoneos et utiles, quam plures qui in œdificationem Corporis Christi, quod est Ecclesia, nequidquam sint valituri. " (PIE IX. Encycl. Qui pluribus 9 nov. 1846).

 

269. — Elimination des modernistes. Enfin, très instante recommandation est faite aux évêques d'écarter impitoyablement les modernistes et les modernisants.

" Il faudra prendre pour règle de différer l'ordination ou même de la refuser absolument à ceux qui, ce qu'à Dieu ne plaise, seraient imbus des erreurs nouvelles qu'ils ne consentiraient pas à réprouver et rejeter du fond du cœur. " Ainsi s'exprime le Saint Office dans l'instruction aux Ordinaires du 28 août 1907 (1).

Et Pie X, dans l'incomparable Encyclique contre le Modernisme, insiste sur ce point en ces termes vigoureux : " II faut procéder avec même vigilance et sévérité à l'examen et au choix des candidats aux saints Ordres. Loin, bien loin du sacerdoce l'esprit de nouveauté. Dieu hait les superbes et les opiniâtres (2). "

Enfin, dans le Moto Proprio qui suivit de près l'Encyclique Pascendi Dominici gregis, le Souverain Pontife ajoute une précision nouvelle à la défense d'appeler aux Ordres les modernistes : " Que les Evêques, dit-il, écartent du sacerdoce les jeunes gens qui donneraient à penser, si peu que ce soit, qu'ils s'attachent à des doctrines condamnées et à des nouveautés dangereuses. " A sacris ordinibus (Ordinarii) adolescentes excludant qui vel minimum dubitationis injiciant doctrinas se consectari damnatas novitatesque maleficas (3).

Déjà Pie X, dans une allocution aux Evêques réunis à Rome le 12 décembre 1904, s'était très clairement expliqué sur ce point : " Je ne vous fais, Vénérables Frères, qu'une seule recommandation : Veillez sur vos Séminaires et les aspirants au sacerdoce.

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(1) " Consultum erit sacram Ordinationem differre, vel etiam prorsus denegare iis qui, quod Deus avertat, neotericis erroribus imbuti essent, quod non ex anima reprobarent atque reiicerent. " (Loc. cit.)

(2) " Pari vigilantia et severitate ii sunt cognoscendi ac deligendi qui Sacris initiari postulent. Procul esto a Sacro Ordine novitatum amor : superbos et contumaces animas odit Deus ! " PIE X (loc. cit.)

(3) PIE X. Motu proprio : Prœstantia 18 nov. 1907.

 

" Vous le savez, il passe trop sur le monde un souffle d'indépendance mortel pour les âmes, et cette indépendance s'est introduite aussi dans le sanctuaire, non seulement envers l'autorité, mais aussi à l'égard de la doctrine.

" Il en résulte que quelques-uns de nos jeunes clercs, animés de cet esprit de critique sans frein qui domine aujourd'hui, en viennent à perdre tout respect pour la science dérivée de nos grands maîtres, des Pères et des Docteurs de l'Eglise, interprètes de la doctrine révélée.

" Si jamais vous aviez dans vos Séminaires un de ces savants nouveau genre, débarrassez-vous-en vite, et à aucun prix ne M imposez les mains. Vous vous repentirez toujours d'en avoir ordonné, ne serait-ce qu'un seul, jamais de l'avoir exclu (1). "

270. — Choix scrupuleux des directeurs et professeurs de Séminaires. Pour éviter que les candidats au sacerdoce ne tombent dans le Modernisme, les évêques devront choisir avec soin les professeurs et directeurs des Séminaires.

C'est encore Pie X qui parle : " Que les Evêques exercent la plus scrupuleuse vigilance sur les maîtres et sur leurs doctrines, rappelant au devoir ceux qui suivraient certaines nouveautés dangereuses, et éloignant impitoyablement du professorat ceux qui ne profiteraient pas des admonitions reçues (2). "

" On devra avoir ces prescriptions, et celles de notre prédécesseur et les Nôtres sous les yeux, chaque fois que l'on traitera du choix des directeurs et professeurs pour les Séminaires et les Universités Catholiques.

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(1) PIE X.

(2) PIE X. Eucycl. Pieni l'animo 28 juil. 1906.

 

" Qui, d'une manière ou d'une autre, se montre imbu de modernisme, sera exclu sans merci de la charge de directeur ou de professeur ; l'occupant déjà, il en sera retiré ; de même qui favorise le modernisme, soit en vantant les modernistes ou en excusant leur conduite coupable, soit en critiquant la scolastique, les Saints Pères, le Magistère de l'Eglise, soit en refusant obéissance à l'autorité de l'Eglise, quel qu'en soit le dépositaire ; de même, qui, en histoire, en archéologie, en exégèse biblique, trahit l'amour. de la nouveauté ; de même enfin, qui néglige les sciences sacrées ou paraît leur préférer les sciences profanes.

" Dans toute cette question des études, vous n'apporterez jamais trop de vigilance, ni de constance, surtout dans le choix des professeurs ; car, d'ordinaire, c'est sur le modèle des maîtres que se forment les élèves.

" Forts de la conscience de votre devoir, agissez en tout ceci prudemment, mais fortement. "

271. — Appel licite, appel valide. Telles sont, en matière d'appel aux Ordres, les prescriptions tracées aux évêques par le Saint-Siège et le Droit Canon.

Ils doivent s'y conformer sous peine d'abuser dé l'auguste pouvoir qu'ils possèdent de conférer, au nom de Dieu, l'appel au sacerdoce.

Néanmoins, l'appel, même s'il est donné contre toutes les règles de licéité, demeure valide et divin, comme est valide et divine la transsubtantiation opérée par un prêtre indigne. Mais quelle responsabilité pour l'évêque, qui introduirait des loups sous les vêtements des pasteurs !

Nous n'avons pas a redouter une extrémité si funeste. Les évêques veillent jalousement sur leurs Séminaires et en font les délices de leur cœur : Seminarium cordis quisque vestri delicias habetote (1).

Avec l'ancien Patriarche de Venise, devenu le Pape Pie X, chacun d'eux dit : " J'aime mon Séminaire comme la prunelle de mes yeux ; je l'aime au dessus de tout ; je le considère comme ma propre maison (1). "

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(1) PIE X, loc. cit.

(1) Extrait du rapport envoyé à Rome, le 1er décembre 1897, par S. Em. le Cardinal Sarto, patriarche de Venise, Le saint prélat ajoutait : " J'ai coutume de fréquenter assidûment mon Séminaire, de m'y rendre souvent à l'improviste et à des heures où l'on m'y attend le moins, pour veiller non seulement sur la discipline de la maison, mais aussi sur les études et même sur la table. Je tiens, en effet, à suivre les progrès de mes jeunes gens dans la piété et dans les sciences, mais je. n'attache pas moins de prix à leur santé, sans laquelle ils ne sauraient exercer leur ministère plus tard. " Cf. Mgr. de VAAI, Le Pape Pie X, p. 157.

 

 

CHAPITRE II.

Les appelants délégués

 

En pratique courante, les évêques ne prennent point personnellement la direction des Séminaires, mais la confient à des maîtres choisis par eux.

272. — Choix des Directeurs de Séminaire. Dans le règlement disciplinaire, imposé aux Séminaires d'Italie par la S. C. des Evêques et Réguliers, nous relevons à ce sujet deux articles qui sont d'une portée générale.

Art. 6. — La nomination et la révocation des personnes, attachées à la direction intérieure des Séminaires, appartiennent à l'évêque, ou au collège des Evêques (pour les Séminaires interdiocésains), avec le concours du supérieur quand il s'agit de ceux qui lui sont directement soumis.

Art. 7. — Pour le choix et le maintien des supérieurs et des professeurs du Séminaire, on se conformera aux règles établies par la Sacrée Congrégation du Saint Office, le 28 août 1907 et confirmées par l'Encyclique : " Pascendi Dominici gregis ", puis par le Motu Proprio : "Præstantia" du Pontife régnant Pie X (1).

Il sera utile aussi de se rappeler la recommandation du Souverain Pontife Léon XIII adressée aux évêques de Hongrie :

" In iis (seminariis) maxime evigilent curæ et cogitationes vestræ, Efficite ut litteris disciplinisque tradendis Lecti Viri Præficiantur, in quibus sanctitas cum innocentia morum conjuncta sit, ut in Re Tanti Momenti, confidere eis Jure Optimo Possitis.

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(1) Nous venons de reproduire ces documents dans les dernières pages du chapitre précédent.

 

" Redores disciplinæ, magistros pietatis eligite prudentia, consilio, rerum usa præ cæteris commendatos, communisque vitæ ratio auctoritate vestrâ sic temperetur ut, non modo nihil unquam alumni offendant pietati contrarium, sed abundent adjumentis omnibus quibus alitur pietas, aptisque exercitationibus incitentur ad sacerdotalium virtutum quotidianos progressus (1). "

Ces hommes, choisis avec soin, et à qui l'évêque donne sa confiance pour cette mission si importante : l'éducation des futurs prêtres, sont les Supérieurs et les Directeurs de Séminaire.

Leur prérogative la plus auguste, la seule dont nous ayons à nous occuper dans cette deuxième partie, est celle qui regarde l'appel au sacerdoce.

Nous allons dire, à ce point de vue : 1° Leur fonction. 2° Leurs devoirs.

 

 

ARTICLE I.

FONCTION DES APPELANTS DÉLÉGUÉS.

 

273. — Leur vrai rôle dans vocation et l'appel. Les supérieurs et directeurs la de Séminaire sont délégués par l'évêque pour juger les cas de vocation chez les jeunes gens confiés à leur vigilance (2).

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(1) Encycl. Quod multum, 22 aug. 1886.

(2) Nous nous plaçons ici au point de vue des usages français, sans eu discuter la valeur canonique. Il est de fait que dans les Séminaires de France, tous les directeurs, et non pas seulement le Supérieur, sont juges des vocations et participent aux appels, comme délégués de l'évêque.

Ailleurs le Supérieur, ou Recteur, est le seul délégué de l'évêque pour cet office. Il prend l'avis de ses collaborateurs et fait les enquêtes convenables ; mais, seul, il prononce le jugement d'idonéité et procède au choix et à l'appel des candidats. Le tout est ensuite soumis à l'approbation décisive de l'évêque.

Ailleurs c'est l'évêque qui, de concert avec le Recteur et toutes les informations prises, choisit et appelle lui-même les sujets.

Voici ce qu'on lit dans le Règlement disciplinaire, approuvé par Pie X, pour tous les séminaires d'Italie.

ART. xiv. — " Au moins un. mois avant le jour fixé pour l'ordination, les ordinands feront connaître leur désir au Recteur par écrit.

S'il s'agit d'élèves du diocèse, le Recteur présentera leur demande à l'Evêque. L'Evêque, après avoir recueilli les informations nécessaires, adressées par les curés et les Supérieurs des Instituts dans lesquels ils auraient séjourné, réunira les membres de la Commission Tridentine, le Directeur et les professeurs du Séminaire, pour recevoir leur avis. Puis, après avoir tout pesé, il dressera, selon sa conscience, la liste de ceux qu'il veut admettre à l'Ordination, et l'expédiera au Recteur, pour qu'il en informe les intéressés. Ceux-ci ne seront admis à faire aucune réclamation. "

On sait que le Grand Séminaire de Rouen, sous l'impulsion éclairée de Monseigneur Fuzet, était déjà entré dans la voie indiquée par Rome, spécialement en ce qui est de l'appel aux Ordres.

Voici ce qu'on lit dans les Statuts généraux du Grand Séminaire de Rouen, sous le Titre vi, qui traite de l'appel aux Ordres.

" 1. — Un mois et demi avant l'époque fixée pour l'ordination, les ordinands feront connaître par écrit, à Mgr l'Archevêque, leur désir de recevoir tel ou tel Ordre.

" 2. — Ils devront en même temps déposer entre les mains du supérieur du séminaire les certificats de légitime naissance, d'âge canonique, de baptême, de confirmation. Ils justifieront qu'ils n'ont pas d'empêchements canoniques s'opposant à leur ordination et s'il g a lieu, que leur titre est régulier, que leurs bans sont publiés.

" 3. — Les demandes des ordinands seront transmises par Mgr . l'Archevêque à l'archidiacre dont ils relèvent.

" 4. — L'archidiacre fera une enquête sur chaque ordinand.

" 5. — Dans cette enquête, il suivra le principe posé par saint Liguori : " Non sufficit quod Episcopus nil mali noverit de ordinando, sed debet fieri certus de ejus positiva probitate, juxta sublimitatem gradus ad quem ille inhiat accendere, ut communiter dicunt.

"Pour arriver à cette certitude morale relative au mérite des ordinands, selon le degré de leur ordination, l'archidiacre s'entourera de tous les renseignements nécessaires.

" Il demandera au supérieur du séminaire communication du dossier de chaque ordinand et une attestation de leur travail et de leur conduite ; il prendra aussi des informations auprès des curés et des supérieurs des petits séminaires ; il demandera des lettres testimoniales aux évêques dans les diocèses desquels les ordinands auront fait un séjour de six mois ou de trois mois, en service militaire.

" 6. — L'archidiacre mettra entre les mains de Mgr l'Archevêque le résultat de son enquête.

" 7. — Dix jours avant les examens pour les Ordres, Mgr l'Archevêque convoquera en réunion plénière les deux Commissions du spirituel et du temporel, les archidiacres, le supérieur et les professeurs du séminaire et leur demandera leur avis sur l'idonéité de chaque ordinand.

" 8. — Après cette réunion, Mgr l'Archevêque prononce sur l'appel aux Ordres, selon le devoir de sa charge, et dresse la liste définitive des sujets à ordonner. Cette liste est envoyée au supérieur du Séminaire, qui informe les intéressés de la décision prise à leur égard. "

Monseigneur FUZET, renouvelant et confirmant ces prescriptions au sujet de l'appel aux Ordres, ajoute dans une lettre récente au Supérieur de son Grand Séminaire (28 oct. 1912) :

" Après une expérimentation déjà longue, et surtout après la décision récente du Saint-Siège sur la nature de la vocation sacerdotale, vocation qui consiste essentiellement —— cela ne peut plus être discuté maintenant —— dans l'appel de l'évêque, nous restons convaincu que notre méthode est la vraie. "

Quoi qu'il en soit de cette diversité d'usages,, les principes que nous exposons doivent guider l'action. de tous ceux qui sont associés à l'évêque dans la grande œuvre des choix et des appels en vue des Saints Ordres.

 

Après l'examen consciencieux des sujets, ils défèrent l'appel aux Ordres ou le refusent.

Parfois le refus d'appel n'est qu'une sentence dilatoire ; en d'autre cas, il signifie une exclusion définitive.

Leur rôle exact dans la vocation paraît pouvoir se définir ainsi : Ils appellent au sacerdoce, au nom de l'Evêque ; l'Evêque appelle au nom de Dieu.

L'appel qu'ils prononcent est précédé de deux actes qui le préparent : le jugement d'idonéité, et, quand il y a lieu, le choix des meilleurs. Ils portent, sur les dispositions des candidats, une sentence officielle, dont la teneur est indiquée dans les paroles que prononce l'archidiacre, en réponse au " Sois illos dignos esse " du Pontife. Avec l'archidiacre, les directeurs qui ont procédé à l'examen des ordinands déclarent " Quantum humana fragilitas nosse sinit et scio et testificor, illos dignos esse ad hujus onus officii. "

Enfin, dans les cas de surabondance, les directeurs opèrent une sélection parmi les sujets et ne prennent que les meilleurs (1).

Ainsi donc ces prêtres assument sur leurs épaules, par mandat exprès de leur Ordinaire, ce qu'il y a peut-être de plus délicat, de plus difficile, de plus grave, dans la charge épiscopale. Il est évident que, recevant délégation d'une fonction si auguste, ils reçoivent en même temps, et par le fait même, les grâces d'état nécessaires pour la bien remplir.

274. — Autorité de leurs décisions. Seuls, parmi les prêtres d'un diocèse, ils sont juges des aptitudes requises pour le Sacerdoce.

Seuls, parmi les prêtres d'un diocèse, ils ont qualité pour prononcer ces sortes de jugements.

Tout autre prêtre qui, dans son appréciation privée sur telle ou telle vocation, ne subordonnerait pas sa manière de voir à celle des délégués officiels de l'Evêque ; a fortiori, tout prêtre qui voudrait opposer sa sentence à la leur, se rendrait coupable d'une véritable faute, dont nous nous abstenons de déterminer la gravité matérielle, nous souvenant d'ailleurs qu'en ces sortes d'écarts de langage, il faut faire une large part à l'irréflexion.

Si, en dehors des directeurs de Séminaire, choisis et délégués par l'Evêque, aucun prêtre n'a grâce d'état pour faire sonner haut son sentiment en matière d'appel aux Ordres, combien moins aurait ce droit un diacre, un sous-diacre, un minoré, un clerc, combien moins encore un simple laïque ! Donc, si la culpabilité des prêtres qui jugent et critiquent les sentences des appelants délégués ne saurait être révoquée en doute, bien plus indéniable est la culpabilité des clercs inférieurs, et plus évidente encore celle des simples laïques, qui prétendraient s'ingérer en ces questions si spécialement réservées.

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(1) Cette sélection, nous l'avons dit ailleurs, ne se fait pas au moment précis des ordinations, mais tout le long des années du Petit et du Grand Séminaire, et, surtout, dans les examens de passage.

 

275. — Objection : Ils ne sont pas infaillibles. Que l'on n'oppose pas à ces considérations très graves cette fin de non-recevoir si légère : " Après tout, les jugements de vocation prononcés par ces prêtres, délégués aux appels, ne sont pas infaillibles. "

La réponse est trop facile : Ces prêtres, délégués aux appels par l'Evêque, savent, autant que personne, que leurs décisions ne sont pas dotées du privilège de l'infaillibilité ; autant et mieux que personne, ils sentent la responsabilité qui pèse sur eux, et si, très souvent, leur sentence est portée en pleine joie et assurance, en d'autres cas, elle est rendue au milieu de perplexités et d'angoisses indicibles.

Oui, ils savent, ces juges de vocation qui donnent ou refusent des appels au sacerdoce, ils savent, autant que personne, qu'ils ne sont pas infaillibles. Mais, quel est au monde le tribunal de qui on exige l'infaillibilité avant de se soumettre à ses arrêts ? Quel est au monde le tribunal qui, ayant prononcé son verdict selon les règles à lui prescrites par autorité supérieure, n'exige pas aussitôt le respect de la chose jugée ?

Et quand un tribunal est composé de prêtres, de prêtres conscients de leur responsabilité très lourde, de prêtres qui montent chaque matin à l'autel de leur sacerdoce, de prêtres spécialement choisis par l'Evêque et aidés des lumières d'En-Haut pour la grande œuvre des vocations, il serait permis à quiconque de s'élever contre les sentences de ce tribunal, en disant : " Après tout, ces gens-là ne sont pas infaillibles !"

Ah ! qu'il serait donc facile de répliquer à ces esprits chagrins et frondeurs, en leur demandant s'ils sont plus en mesure de porter des jugements sérieux en ces matières réservées, eux qui n'ont reçu ni mission ni grâces d'état, et qui ignorent le plus souvent les données essentielles de la cause et les vraies pièces du procès !

276. — Leurs sentences ratifiées par l'évêque. D'ailleurs, ce qui tranquillise les supérieurs et directeurs de Séminaire dans l'exercice de leur fonction d'appel, c'est que leurs sentences, surtout en certains cas plus compliqués, n'obtiennent leur plein effet qu'après ratification de l'Evêque.

Donc, en les attaquant, c'est l'Evêque lui-même que l'on atteint à travers ses représentants.

 

ARTICLE II

DEVOIRS DES APPELANTS DÉLÉGUÉS.

277. — Sommaire de leurs devoirs. Cette prérogative auguste d'appeler au sacerdoce, dévolue aux Directeurs de Grand Séminaire, leur impose de graves et austères devoirs :

Devoirs envers le Souverain Pontife.

Devoirs envers leur Evêque.

Devoirs envers les candidats aux Ordres.

Dans le prononcé de leurs jugements, ils doivent se placer à ce triple point de vue et se poser ces trois questions :

Quelles règles le Souverain Pontife a-t-il édictées pour les appels au sacerdoce, eu égard aux besoins généraux de l'Eglise ?

Quelles règles notre Evêque nous a-t-il fixées, eu égard aux besoins particuliers du diocèse ?

Quelles règles nous tracent la situation de nos élèves dans le Séminaire, la considération de leur plus grand bien et de leur véritable intérêt, surnaturellement compris ?

 

§ I. — Devoirs envers le Souverain Pontife.

278. — Le suprême régulateur de l'ordre sacerdotal. Tout d'abord ils se conformeront aux vues du Souverain Pontife.

C'est Lui, le Grand Prêtre de la Loi Nouvelle, qui a l'intendance universelle sur tout le sacerdoce catholique. C'est donc à lui qu'il appartient de tracer les normes générales qui doivent présider au recrutement et à la formation des prêtres.

S'y tenir est le devoir strict des appelants délégués, comme c'est le strict devoir de l'Evêque qui les délègue.

Ils ne sont pas seulement liés par les règles précises, — comme la défense d'appeler, sauf dispense, un candidat qui ne serait pas le sujet de l'Evêque, un candidat renvoyé d'un autre Séminaire — ils sont encore liés par les recommandations, de forme plus générale sans doute, mais non moins importantes et obligatoires en conscience.

Ils doivent entrer dans l'esprit de ces indications, se faire une âme vraiment ecclésiastique, une manière de voir en harmonie parfaite avec celle du Pape, et se demander avant toute sentence : " Que ferait à ma place le Souverain Pontife ? ".

279. — Quelques règles pontificales : examen sévère des aptitudes. Quand donc ils liront les

paroles de Pie IX, suppliant les Evêqués de n'appeler aux Saints Ordres que les candidats dont ils auront longuement et scrupuleusement examiné les vertus et la science, pour s'assurer qu'ils seront vraiment l'honneur et le salut des diocèses, " qui, accurate exquisiteque explorati ac virtutum omnium ornatu et sapientiæ laude spectati vestris diæcesibus usui et ornamento esse possint " (1), — ils comprendront qu'ils n'ont pas- le droit de se montrer accommodants et faciles, là où le Souverain Pontife leur demande de procéder avec tant de circonspection et de maturité.

S'ils ont abondance de sujets, ils sauront appliquer la recommandation de Pie X, exigeant les plus sérieuses précautions et la plus grande sévérité dans le choix de ceux qui doivent être appelés à l'honneur du sacerdoce (2).

Que si, au contraire, il y a dans leur Séminaire pénurie de candidats au sacerdoce, ils ne se laisseront pourtant pas entraîner, dans les appels, à une indulgence funeste, se souvenant, avec Benoît XIV et Pie IX, qu'il vaut beaucoup mieux avoir peu de prêtres, mais dignes, mais capables et utiles, que d'en posséder un grand nombre de médiocre valeur (3).

280. Exclure les amateurs de nouveautés et d'indépendance. Et, quand le Souverain Pontife, alarmé d'un mal nouveau dont il a saisi la profondeur et le danger, conjure d'écarter du sacerdoce les jeunes gens qui donneraient à penser si peu que ce soit, — vel minimum dubitationis injiciant, — qu'ils s'attachent à des nouveautés dangereuses (4), les directeurs de Séminaire n'auront garde de faire la sourde oreille, ou de se dire qu'il y a, dans ces paroles pontificales, quelque exagération dont il faut savoir adoucir la rigueur, ou de déclarer que, si ce péril de modernisme existe ailleurs, il ne saurait se rencontrer autour d'eux.

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(1) PIE IX, Encycl. Qui pluribus, 9 nov. 1846.

(2) PIE X. Encycl. Pieni l'animo 28 julii 1906. Cf. supra, N° 267.

(3) PIE IX. Encycl. Qui pluribus, 9 nov. 1846. Cf. supra cap. 1. Et Pie X écrivait : " L'âme profondément triste, le même Pape (saint Grégoire le Grand) exhale ces plaintes : Voici que le monde est plein de prêtres ; mais très rares se trouvent les ouvriers dans la moisson de Dieu, parce que nous avons bien assumé le ministère sacerdotal, mais nous ne remplissons pas les devoirs de notre charge.

" Et à vrai dire, combien l'Eglise n'aurait-elle pas aujourd'hui de forces amassées, si elle comptait autant d'ouvriers que de prêtres!"

PIE X, Lettre Encyclique à l'occasion du centenaire de saint Grégoire le Grand, 12 mars 1904.

(4) PIE X. Motu proprio " Prœstantia" 18 nov. 1907.

 

Non ! Ils redoubleront, au contraire, de vigilance et de dévouement, afin que le souffle d'indépendance qui passe sur le monde et s'est introduit aussi dans le sanctuaire, indépendance, non seulement envers l'autorité, mais aussi à l'égard de la doctrine (1), ne vienne pas flétrir les âmes lévitiques, confiées à leur sollicitude.

Ils veilleront ! et si, malgré tous leurs soins, ils viennent à constater la présence, dans leur Séminaire, d'un de ces savants nouveau genre, ils obéiront à cet ordre de Pie X : " Débarrassez-vous-en bien vite, et, à aucun prix, ne lui imposez les mains. "

Si leur cœur saigne de douleur en opérant quelqu'une de ces exécutions qui s'imposent, ils surmonteront ce sentiment de pitié trop naturelle, pour s'épargner les reproches bien autrement cuisants de leur conscience sacerdotale ; tranquillisés d'ailleurs par cette déclaration très nette du Pontife Suprême : " Vous vous repentirez toujours d'en avoir ordonné ne serait-ce qu'un seul, jamais de l'avoir exclu (2) ."

En agissant avec cette prudence, ce soin scrupuleux, cette vigueur, ils entreront dans les vues du Souverain Pontife. Ils s'interdiront toujours, comice un crime, d'opposer leur manière de voir à la sienne.

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(1) Cf. supra, cap. 1. N° 269.

(2) PIE X, loc. cit.

 

 

§ II. — Devoirs envers l'Evêque diocésain.

281. — Entrer dans les vues de leur évêque. Les Supérieurs et Directeurs auront aussi la préoccupation de se conformer aux règles particulières que l'Évêque leur tracera d'après les besoins particuliers du diocèse.

Si l'Evêque leur recommande d'écarter du sacerdoce telle catégorie d'esprits, ou tel genre de caractères ; si, préoccupé du trop grand nombre de prêtres médiocres, dissipés, mondains, qui scandalisent le peuple au lieu de l'édifier, il déclare élever le niveau des exigences intellectuelles et morales pour l'admission aux Ordres ; s'il établit dans son Séminaire telles épreuves déterminées, pour s'assurer de la valeur des candidats ; quelles que soient, enfin, les mesures qu'il croira devoir prendre pour la formation de ses clercs, les Supérieurs et Directeurs, bien loin de les contrecarrer, seconderont de tous leurs efforts les initiatives épiscopales, se souvenant que d'après le Concile de Trente, l'Evêque seul a la direction du Séminaire (1).

282. — Exiger des élèves un plus haut degré de culture. On peut affirmer qu'aujourd'hui tous les évêques, et en particulier les évêques de France, sont unanimes à exiger de leurs clercs un plus haut degré de culture intellectuelle.

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(1) — La haute direction comprend les droits et les devoirs qui incombent aux évêques par rapport à leurs Séminaires, en vertu de la pleine autorité qui leur a été conférée par le concile de Trente : " Episcopus... omnia et singula quœ ad felicem hujus seminarii profectum necessaria et opportuna videbuntur, decernere ac providere valeat. " Trid. sess. 23 cap. xviii, De reform.

(Extrait du règlement disciplinaire approuvé par Pie X pour tous les Séminaires d'Italie, art. i).

 

Tous, ils adressent à leurs séminaristes des paroles comme celles-ci :

" L'heure présente — cette heure où nous fournissons la carrière et où vous allez incessamment, vous, entrer dans la carrière — nous invite très spécialement et très instamment à devenir, autant que possible, des valeurs intellectuelles.

" J'en donne une première raison : la société que vous aurez à nous aider à conserver ou à refaire chrétienne, n'est pas un troupeau de Barbares, une plèbe encrassée de superstitions grossières ; elle est, au contraire, toute reluisante du vernis d'une civilisation plus ou moins scientifique. Vous savez que toutes les solutions qui avaient été données aux grands problèmes de métaphysique, de morale, de religion, ont subi dans ces derniers temps, la contradiction d'autres solutions que représentent, préconisent, patronnent des hommes d'une incontestable puissance intellectuelle. Et ces solutions nouvelles sont peut-être la pensée régnante ou dominante dans la plupart de nos grandes écoles. Or, ces solutions là, qui ne vont à rien moins qu'à détruire les fondements de la foi, sont propagées par les organes de vulgarisation, à travers toutes les couches de la société : si bien qu'ils sont peut-être rares, à l'heure présente, les hommes dont la foi se conserve en même temps éclairée et intacte.

" D'autre part, sans parler de la qualité bonne ou mauvaise de la culture qui se répand, il est indubitable qu'une moyenne de culture, de civilisation intellectuelle, devient de plus en plus générale. Les statistiques que l'on nous donne de temps à autre sur le nombre des illettrés, lequel ne décroît pas assez vite, ne prouvent rien contre le fait que je viens d'énoncer, à savoir le progrès de la culture moyenne générale. Il n'est pas besoin d'être lettré pour participer à ce progrès ; on y participe, en écoutant le journal qu'on ne sait pas lire, en assistant comme auditeur à la conférence, en entrant dans la communication de tous les échanges de la vie sociale...

" Enfin le monde, de plus en plus cultivé, s'attend de plus en plus à rencontrer quelqu'un quand il aborde un prêtre. Nous ne sommes plus classés parmi les autorités constituées ; le décret de messidor est aboli ; mais ce n'est pas de ce décret que nous tenions notre rang et notre prestige ; aussi n'a-t-il pu nous l'enlever.

" Et, pour ce triple motif, à savoir : parce que le monde, à l'heure présente, a généralement mal à l'intelligence, parce que, plus cultivé, il a accru son crédit à qui lui parle, et enfin parce qu'il s'attend à trouver dans le prêtre quelqu'un il nous faudra devenir des valeurs intellectuelles.

" Comment cela ? D'abord — et ce que je vais dire résume à .peu près tout ce qui est à dire, — en aimant la science de notre état, la science sacrée. Tous les autres professionnels aiment la science de leur état, le jurisconsulte aime le droit : il le dit et le prouve ; le médecin, la médecine ; l'ingénieur, les mathématiques. C'est même l'attrait pour la science spéciale, correspondant à ces carrières qui, d'ordinaire, a déterminé chez eux l'entrée dans la carrière...

" A vous, qui êtes en cours d'apprentissage, je puis vous demander si vous faites preuve d'aimer de même la science de votre état. Est-ce que vous vous efforcez à ce que vos connaissances dans la science sacrée franchissent et dépassent la région des lueurs, pour devenir des lumières ? La science sacrée se systématise en ce que nous nommons des thèses ; pour vous, sur quoi reposent ces thèses ? Que contiennent-elles ? Il y a bien quelque texte, dans l'Ecriture, qui erre ou qui flotte dans l'espace de vos mémoires et qui se réfère, en effet, à la thèse en question ; sauriez-vous habituellement citer, propriis terminis, ce texte, comme le jurisconsulte cite tout de suite l'article 483 ou 1377 de son code, comme le médecin cite tout de suite la formule pharmaco-chimique de son Codex ? Sauriez-vous dire le sens; précis, le contenu authentique de ce texte pour ensuite le tourner en moyen de démonstration pour votre thèse ?.., Le médecin et le jurisconsulte, quel que soit leur don naturel de parole, s'expriment aisément, clairement. Nous, ecclésiastiques, hélas ! trop souvent nous balbutions, nous disons des choses banales ou vagues ; rarement nous donnons à notre parole la vigueur du dessin, qui fait saillir l'idée en de vives arêtes. Et cela tient à ce que, ou bien nous n'avons jamais appris, ou bien trop tôt nous avons interrompu d'apprendre à penser la science sacrée...

" Le monde a besoin que ses prophètes lui crient efficacement : surge, illuminare, quia venit lumen tuum ! Vous êtes destinés à être ces prophètes, et comment pousserez-vous le cri dont le monde a besoin ? A la condition d'être vous-mêmes des éclairés.

" Si vous n'avez que la vertu — celle de la sainteté ordinaire, je n'oserais raisonner sur la sainteté à miracles... et. encore ! — je crains que vous ne soyez stériles... Le monde étant tel que je le connais, pour lui faire du bien, il ne suffit plus d'être bons : il faut être éclairés.

" Eclairez-vous donc, mes enfants, par la plus généreuse application à l'étude. Cet effort, aimez-le, pour son objet et pour son but.

" Je souhaite que, dès le Séminaire, vous preniez contact avec ce qu'on appelle la pensée moderne ; mais je pense qu'il y a danger à ce que, dès le Séminaire, vous fréquentiez Chez elle directement. Vos maîtres vous la feront connaître dans la mesure utile..., car vous admettez bien qu'à vous aussi peut s'appliquer la parole de prudence dont Notre-Seigneur usait avec ses disciples : " Non potestis portare modo. "

" Pour vous, ayez vos contacts directs, surtout, ou même exclusivement, avec les anciens. Nous versons l'ironie — non sans raison — sur ces primaires qui prétendent faire dater la France de 1789, ou même, les plus dans le train, du 4 septembre 1870 ; eh bien ! prenons garde de ne pas imiter pareille sottise, en faisant dater la pensée, la science, la philosophie, l'exégèse, la critique, de tel philosophe, de tel .exégète, dont les œuvres n'ont pas encore subi l'épreuve du temps. Je vous l'assure, notre Bossuet, ni saint Thomas, ni les Pères de l'Eglise n'ont point tant vieilli : vous vous ferez un meilleur tempérament, plus sain et plus robuste, avec la substance que vous leur prendrez, qu'avec tels autres mets, superficiellement flatteurs au palais, mais où il y a trop de chimie (1). "

Etant donnée cette nécessité, si hautement proclamée par les Evêques, d'une culture cléricale plus soignée, les Directeurs considéreront comme un devoir strict d'élever leurs exigences en matière d'idonéité intellectuelle, pour l'appel aux ordres.

Les médiocrités qui auraient pu passer autrefois quand le clergé avait, — s'il l'a jamais eue — une situation de tout repos, ne se peuvent plus tolérer aujourd'hui.

L'infériorité notoire de quelques unités jetterait, pour diverses raisons, le discrédit sur tout le corps sacerdotal d'un diocèse.

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(1) Mgr DADOLLE : Allocution aux élèves de son Grand Séminaire le jour de l'Épiphanie, 6 janvier 1909.

Nous nous en voudrions de ne pas citer de la même allocution cet autre passage où le savant évêque recommande à ses clercs de cultiver la théologie spéculative, plus que la positive : " Hélas ! il est trop certain que le goût de la théologie proprement dite ou philosophique s'est altéré... Peut-être avait-on, quelque temps, trop négligé l'étude critique et scientifique du fait ; peut-être la tradition de la théologie positive, si magnifiquement représentée dans notre grande école française du xviie siècle, avait-elle besoin d'être restaurée... Soit ! mais restauration de ceci serait-il incompatible avec conservation de cela ?... Où mène la culture exclusive du fait ?... Je vous l'ai récemment fait voir...

La théologie positive se désintéresse notamment de ce que j'appellerai l'esthétique de la vérité sacrée : car il y a une esthétique de la vérité sacrée. — Cette incomparable synthèse, ces deux grands compartiments qui la constituent : dogme et morale ; le Dogme, inclus tout entier dans le " sic Deus dilexit mundum", la morale incluse tout entière dans le " Nos ergo diligamus Deum "! — et si la théologie positive est indifférente à cette synthèse et à sa beauté, c'est qu'elle se comporte en atrophiée, fut-elle d'ailleurs hypertrophiée de critique. "

 

283. — Exiger un plus haut degré de vertu. Ces règles de sévérité, au point de vue de la science des jeunes clercs, doivent s'étendre, pour une raison semblable, à leur moralité. Le monde d'aujourd'hui, parce qu'il est lui-même plus corrompu, se venge de sa déchéance .profonde, en se montrant plus exigeant pour la vertu de ceux qui prétendent la surmonter et ont pour mission de la flétrir. Le prêtre est, par état, l'ennemi des désordres du monde ; le monde cherche toutes les occasions de prendre contre lui sa revanche et s'empresse de crier victoire, quand il est parvenu à introduire, si peu que ce soit, dans la vie de son gênant censeur, quelques-unes de ses maximes et de ses pratiques.

Dès ce moment, dès que l'homme de Dieu paraît être devenu l'homme du monde, son ministère est frappé de stérilité. Il devait être le sel de la terre : le voilà foulé aux pieds des passants.

Puisque, au sujet du prêtre, les exigences morales d'un monde immoral se font plus impérieuses à mesure que ses attraits deviennent plus séducteurs, il faut se préoccuper de n'admettre à la cléricature que des volontés fortement trempées dans l'amour de Dieu, qui aient autour du cœur le " robur et æs triplex " d'une vertu à toute épreuve.

De là les recommandations si instantes des Evêques sur la sainteté des clercs.

Recommandations capitales ! car le Concile de Trente ordonne aux Evêques de ne promouvoir aux Ordres que des sujets qui soient nécessaires ou, tout au moins, utiles à l'Eglise.

De quelle utilité seraient à l'Eglise ces prêtres de mœurs équivoques, dont le genre de vie ressemble de si près à celui des laïques ? Mettre à la tête du peuple chrétien de pareils guides, ce n'est pas lui être à profit, mais à perte, ni lui donner des chefs, mais des fléaux destructeurs. Le salut du troupeau réclame l'intégrité des pasteurs (1).

Il ne faut donc pas que, sous prétexte de suppléer à la pénurie des candidats au sacerdoce, nous puissions être accusés d'avoir introduit le vice dans le cuite divin plutôt que d'avoir assuré les vrais intérêts des enfants de Dieu (2).

Les Directeurs de Séminaire auront à cœur de s'inspirer de ces grands principes.

 

§ III. — Devoirs envers les candidats aux Ordres.

 

Les Supérieurs et Directeurs de Séminaire ont aussi des obligations envers leurs élèves, au point de vue de l'appel aux Ordres.

284. — Quasi-contrat entre directeurs et élèves. En admettant un jeune homme au Grand Séminaire ils ont passé avec lui une sorte de quasi-contrat, en vertu duquel ils s'engagent à l'appeler sous la seule condition — qui en renferme plusieurs — qu'il aura satisfait à tous les devoirs d'un bon séminariste, soit au point de vue de la science, soit au point de vue de la discipline, de la conduite morale et de la vertu.

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(1) "Non est hoc consulere populis, sed nocere, nec prœstare regimen sed augere discrimen. Integritas enim prœsidentium salus est subditorum. " S. LEO (Epist. i ad Afric. Ep.)

(2) ...Ne, per occasionem supplendi penuriœ clericali, vitia potius divinis cultibus intulisse, non légitimœ familiœ Domini putemur procurasse compendia. "

GELASIUS Papa (Decr, D. 77 i. Can. Monachus).

 

Ce même quasi-contrat les oblige en conscience à refuser l'appel à celui qui n'en est pas digne. Toutefois notons avec soin que de cette dignité ou de cette indignité ils sont, avec l'Evêque, les seuls juges autorisés et compétents : l'opinion du candidat sur lui-même ne compte pas.

Etant donné le quasi-contrat qui les lie, s'ils donnaient ou refusaient l'appel contre leur conscience, choisissant celui-ci qu'ils savaient indigne, rejetant cet autre qu'ils savent digne, les Directeurs de Séminaire commettraient, par cet abus sacrilège d'un pouvoir éminemment sacré, un péché d'injustice : injustice envers le candidat injustement appelé: car, en l'engageant dans une carrière qui n'est pas la sienne, pour laquelle il n'est pas apte, laotiens, ils aiguillent sa vie sur une voie de malheurs, de tristesses et de catastrophes, et, au surplus, mettent en péril son salut éternel ; injustice envers le candidat injustement évincé : car ils violent en lui un véritable droit, découlant du quasi-contrat dont nous avons parlé .

285. — Exclusion d'un sujet digne : injustice à réparer. Pour mieux faire saisir notre pensée, nous poussons les choses à l'extrême et jusqu'à des hypothèses pratiquement invraisemblables. Quel est, en effet, le Directeur assez oublieux de son devoir pour écarter du sacerdoce un jeune homme en qui il aurait reconnu toutes les qualités désirables ?

S'il s'en trouvait un seul, et si celui-là avait obtenu ce misérable résultat de faire exclure un candidat vraiment digne, il serait certainement tenu à réparation du grand dommage causé. Et donc, s'il en était temps encore, il devrait avoir le courage d'avouer son crime, pour faire réintégrer le plus tôt possible dans les rangs de la cléricature celui qu'il aurait contribué à en faire éloigner.

286. — Autre injustice à réparer : admission d'un indigne. Si le cas que nous venons d'agiter est plus ou moins chimérique, moins chimérique et surtout moins rare est le cas opposé.

Par suite d'informations incomplètes : pour n'avoir pas suffisamment étudié le caractère et les inclinations de tel élève déterminé ; pour n'avoir pas tenu assez de cas de certains faits ou indices révélateurs ; pour avoir fermé les yeux sur tels et tels écarts significatifs ; enfin pour n'avoir pas pratiqué sur le candidat aux Ordres cet examen attentif, scrupuleux, si instamment recommandé par le Saint-Siège (1) ; ou pour avoir cédé, à son endroit, à ces mouvements trop naturels de tendresse, de pitié ou de complaisance que les appelants délégués doivent s'interdire si rigoureusement, il se peut que tels et tels Directeurs se trouvent avoir jeté sur des épaules trop débiles la chape de plomb de la chasteté sacerdotale, ou cette autre, plus lourde encore à qui n'est pas humble, de la discipline ecclésiastique.

Plus souvent ils auront engagé un incapable dans cette carrière sacerdotale où il lui sera si difficile de tenir son rang, où il ne rencontrera le plus souvent qu'insuccès, déboires et mépris.

287. — Danger de se fier aux attraits des candidats. Ah! que ces Directeurs aveugles, négligents ou bénévoles, ont donc mal compris le véritable intérêt de leurs protégés ! Ils ont constaté en eux un vif désir du sacerdoce. Sous l'influence peut-être d'idées erronées, de ces idées que nous avons si vivement combattues dans la première partie de cet ouvrage, ils auront pris ce désir pour une vocation d'En-Haut, et, fermant les yeux plus ou moins volontairement sur un réel défaut de science, de chasteté, d'obéissance ou d'humilité, ils ont ouvert à ce favori infortuné l'accès au sacerdoce.

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(1) Accurate exquisiteque explorati (Vide supra, N° 279).

 

Funeste négligence ! complaisance lamentable ! Ce prêtre appelé sans idonéité, jeté hors de sa voie, comme il est malheureux ! Et quelle lourde responsabilité pour ceux qui lui ont imposé le fardeau qui l'écrase !

En stricte justice, _ ils sont tenus à réparation. Pour l'honneur du sacerdoce qu'ils ont compromis, pour le salut éternel de leur malheureuse victime, ils doivent employer tout leur zèle, multiplier prières et sacrifices, en un mot faire violence au Ciel, afin que le pauvre dévoyé se tire d'affaire le moins misérablement possible. Au besoin, ils l'entoureront de conseillers, de protecteurs, d'aide matérielle et de réconfort moral ; car ils auront à rendre compte de son âme et de tant d'autres âmes attachées à la sienne !

Le plus souvent, cette faute de négligence, d'aveuglement ou de bienveillance excessive, n'a pas l'évidence requise pour entraîner ces graves obligations de justice.

Néanmoins, à la vue de certains scandales, les directeurs saisissent mieux la parole de Pie X :

" Vous vous repentirez toujours d'en avoir ordonné, ne serait-ce qu'un seul, jamais de l'avoir exclu (1). "

288. — Le véritable intérêt des candidats. Comme ils comprennent alors que le véritable intérêt de leurs élèves, leur intérêt bien et surnaturellement compris, n'est pas qu'ils soient ordonnés prêtres coûte que coûte, vaille que vaille, et parce qu'ils le désirent vivement !

L'enfant, lui aussi, désire vivement une arme meurtrière ; il la demande, il l'exige avec cris, larmes et trépignements. La mère qui aime son fils, et précisément parce qu'elle l'aime, reste sourde à ses clameurs et continue à garder hors d'atteinte l'objet convoité ! Les Directeurs se conduisent, eux aussi, en Pères très aimants, quand ils refusent à l'élève, incapable de le porter, l'honneur du sacerdoce. En le ramenant à la condition des simples laïques, ils lui rendent l'inappréciable service de le remettre dans sa voie.

Telles sont les prérogatives, tels les devoirs de ceux que nous avons nommés les appelants délégués. Dans cette grande action qui est de déférer l'appel divin au sacerdoce, ils ne forment avec l'Evêque, ministre légitime de l'appel, qu'une seule personne morale, puisqu'ils n'agissent qu'en son nom et en vertu d'une délégation expresse.

Il nous reste à parler des appelants auxiliaires.

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(1) Cf. supra, N° 280.

 

 

CHAPITRE III

Les appelants, auxiliaires

 

289.— Explication de ce titre. Sous cette dénomination, nous rangeons tous ceux qui contribuent de quelque manière au recrutement du sacerdoce catholique, mais sans être directement associés à la collation de l'appel divin proprement dit et du droit à l'ordination qui en découle.

Seuls, l'Evêque, et, au sens que nous avons déterminé, les Directeurs de Séminaire, se trouvent sur le courant de l'appel " vocatio ", qui part de Dieu et dont ils sont, eux, les fils conducteurs. Le candidat est placé à l'autre extrémité, comme un sujet récepteur ; et, à côté de lui, concourant à la bonne réception de l'appel, se tiennent tous ceux que nous nommons appelants auxiliaires, ou auxiliaires des appelants.

290. — Rôle des appelants auxiliaires. Leur action se borne à pré parer le sujet, tantôt en l'invitant à désirer et à demander le sacerdoce, tantôt en le disposant à le recevoir dignement, tantôt en l'aidant à étudier ses aptitudes intimes, pour décider si la prudence lui conseille de continuer à s'orienter vers l'Autel ou de se retirer.

Parmi eux, il en est dont Dieu aime à se servir comme d'instruments pour faire entendre aux candidats possibles ses premières invitations, ses premiers appels au sacerdoce. Ceux-là méritent plus particulièrement le nom d'appelants auxiliaires. Leur appel, il est vrai, n'est pas l'appel officiel,

mais il le prépare, il en fait entendre comme l'écho anticipé et en donne la douce espérance.

Sous le bénéfice de ces explications, nous divisons les Appelants auxiliaires en quatre groupes :

1) Le Directeur de conscience au Grand Séminaire.

2) Les Supérieurs, directeurs, confesseurs et professeurs de Petit Séminaire.

3) Les prêtres, en particulier les curés de paroisse.

4) Les parents chrétiens et tous les catholiques.

 

 

ARTICLE I

LE DIRECTEUR DE CONSCIENCE AU GRAND SÉMINAIRE.

 

291. — L'auxiliaire principal. Parmi les appelants auxiliaires, le Directeur de conscience vient en première ligne. C'est à bon droit. Si, au nom des principes, nous lui refusons le rôle exagéré et absolument hors de proportion qu'on lui attribue quelquefois, il n'en est pas moins vrai qu'il faut lui reconnaître une large part dans l'œuvre de la formation sacerdotale.

Quelle est cette part ? Essayons de la préciser nettement.

Remarquons, tout d'abord, qu'il s'agit du Directeur de conscience au Grand Séminaire, et, plus spécialement, de celui qui guide l'âme du jeune clerc pendant la période où il est susceptible de recevoir les Ordres.

292. — Il n'a pas à connaître d'un appel divin éternel. En vertu de la thèse longuement établie dans la première partie de cet ouvrage, on ne saurait admettre que son rôle consiste à chercher dans l'âme des pénitents la trace d'un appel éternel, dont il serait chargé de découvrir et de constater la présence, avec une certitude morale suffisante pour qu'il puisse en décider quasi ex officio. Nous avons longuement démontré que ces manières de parler reposent sur une notion inexacte de l'appel divin.

L'appel sacerdotal, avons-nous dit, est un phénomène extérieur, — non pas autonome au sujet, mais hétéronome — tout comme la révélation divine. Que son pénitent soit vocatus a Deo, le confesseur ne le sait et ne peut le savoir qu'à l'aide du fait extérieur de l'appel prononcé par l'évêque au nom de Dieu. Cet appel, le seul vraiment sacerdotal, est un acte de juridiction au for externe. Le confesseur n'y concourt d'aucune manière, puisque sa juridiction relativement à son pénitent ne dépasse pas les limites du for intérieur de la conscience.

293. — Il n'a point de part à l'appel sacerdotal. L'appel est à ce point un acte réservé du for externe que si le confesseur est, en même temps, directeur de Séminaire et, par conséquent, appelant délégué, la prudence la plus élémentaire lui interdira de voter pour ou contre son pénitent ; il devra s'abstenir et laisser ses confrères décider, seuls, ce cas particulier (1).

Non seulement, il ne devra pas parler en ce procès, il ne le pourra même pas ; il serait même à désirer qu'il n'y assiste point. Quels que soient ses sentiments sur son dirigé, on n'a pas à en tenir compte ; bien plus, il est interdit aux juges de s'en enquérir auprès de lui, comme il lui est défendu de les manifester.

Evêque et Directeurs appellent donc en dehors du Directeur de conscience, sans qu'ils doivent ou puissent s'enquérir de ce qu'il pense.

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(1) Ici l'on touche du doigt l'anomalie qui règne dans plusieurs Séminaires, où les fonctions du for intérieur et du for extérieur s'entremêlent, au grand détriment des unes et des autres, chez les Directeurs.

 

294. — Sa vraie fonction : exagérations à éviter. Quelle est donc la vraie fonction de celui-ci ? La question est des plus délicates.

Tel qu'il apparaît dans les coutumes de bon nombre de maisons d'éducation cléricale, le Directeur de conscience est un personnage fort considérable, et, à ce point de vue, il est de création relativement récente. Peut-être ne s'éloignerait-on pas beaucoup de la vérité en disant qu'il est, à peu d'années près, contemporain des théories modernes sur la vocation... (1).

Confesseur, il absout les péchés ; mais à la différence des confesseurs de circonstances, il est, lui, confesseur attitré de son pénitent. Une sorte de contrat tacite lie à sa personne, très étroitement, celle de son dirigé. Celui-ci, libre, en théorie, de porter ses péchés à d'autres, se considère comme pratiquement obligé d'en réserver l'aveu à " son directeur " ; libre, en théorie de changer de directeur, pratiquement il ne le fait — il ne l'ose faire — presque jamais, de peur de se dérober, si peu que ce soit, à celui qui doit lui manifester la volonté de Dieu au sujet de sa vocation (2).

Confesseur attitré et quasi obligatoire, le Directeur de conscience joue encore, en toute occurrence et sur toutes sortes de matières, le rôle de conseiller vis-à-vis de " son dirigé " qui est entre ses mains comme un pupille : nécessités spirituelles et nécessités temporelles ; besoins de l'âme et santé du corps ; rapports avec les maîtres et les condisciples, etc... tout relève de sa sollicitude paternelle sans cesse en éveil. On dirait que le " dirigé ", tenu en tutelle étroite, ne saurait faire un pas sans l'assistance de son " Directeur ".

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(1) Ces exagérations sur le rôle du confesseur, directeur de conscience, règnent en France depuis le xviie siècle, soit dans les Séminaires, soit dans la société chrétienne.

A cette époque le Jansénisme et le Quiétisme introduisirent insensiblement, dans la religion d'un grand nombre, des tendances individualistes et subjectives. En même temps, la philosophie de Descartes entraînait, elle aussi, à la méditation subjective. On ramène tout à l'âme et à ce qui se passe entre Dieu et l'âme. Mais, comme la vie intérieure est chose très compliquée, on recourt de tous côtés à un directeur de conscience pour opérer le discernement. Celui-ci devient une puissance sociale. (Voir les classiques de cette époque).

(2) Il serait, an contraire, dans l'esprit de l'Eglise que les consciences jouissent de la plus entière liberté au point de vue de la confession. Les clercs doivent avoir à leur disposition des confesseurs en nombre, avec la facilité de changer à volonté. Chacune de leurs confessions forme un tout moral qui se suffit, et ne réclame nullement la continuité des aveux à un seul et même confesseur. Les simples fidèles ont cette facilité ; pourquoi serait-elle refusée aux clercs ? La liberté de l'aveu l'exige. On devine à quels abus peut mener la pratique contraire, et de combien de sacrilèges elle peut devenir l'occasion.

Il est bon de rappeler ici une des questions auxquelles, dans leurs visites ad limina, les évoques doivent répondre, au sujet de leurs Séminaires : Normœ communes, cap. viii De Seminario diœ-cesano N° 85 : Utrum habeatur magister pietatis, vulgo director spiritualis, in Seminario degens et nullo alio officio implicatus ; et an, prœter ipsum sufficiens copia aliorum confessariorum detur. "

 

295. — Personnages à distinguer dans le Directeur. Quoi qu'il en soit de ces usages, où il y a sans doute bien plus à louer qu'à reprendre (1), disons que dans le Directeur spirituel, tel qu'il doit être, il convient de séparer nettement deux rôles : celui du confesseur et celui du conseiller. Dans ce dernier, il faut encore distinguer le conseiller prudentiel et le conseiller ascétique.

Qu'on veuille bien nous suivre jusqu'au bout et l'on s'apercevra que, sous peine de tout confondre, il est nécessaire d'en venir à ces précisions, qui n'ont de subtil que l'apparence.

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(1) Dans les Séminaires qui n'ont pas adopté le Directeur spirituel, prescrit par les Normes de la visite ad limina, chaque Directeur au for extérieur est en même temps confesseur et possède son " petit groupe " de dirigés. On a grand soin d'éviter que chacun de ces groupes ne vienne à constituer un séminaire dans le Séminaire. Il y a là un écueil réel, une tentation fort subtile. Si l'on y succombait l'autorité des Supérieurs serait, à chaque instant, tenue en échec par celle des confesseurs-directeurs ; et les .groupes distincts se changeraient, bien vite, en groupes hostiles.

 

296. — Le Directeur de conscience en tant que confesseur. Il est juge. Les règles qui concernent le Directeur de conscience à ce premier point de vue s'appliquent à tout confesseur de séminaristes : ordinaire ou occasionnel, il peut se trouver en demeure d'intervenir dans l'affaire d'une vocation.

Disons aussitôt que cette intervention est celle d'un juge, mais d'un juge dont la matière est strictement circonscrite ; il est juge des dispositions de son pénitent, et de celles-là exclusivement qui ont trait à l'absolution : in ordine ad ab solutionem concedendam aut denegandam, comme disent les théologiens d'après le Concile de Trente. Celles-là seules tombent, directe et per se, sous sa juridiction.

Quant à celles qui ont trait à la digne réception des Ordres, elles ne relèvent, per se, ni de son appréciation, ni de son autorité, mais de la seule autorité et appréciation de l'Evêque et de l'Eglise hiérarchique, qui fixent officiellement, par des lois et des règlements publics, les conditions selon lesquelles on doit se présenter aux Ordres.

Si le confesseur constate que son pénitent, sur le point d'aller à l'ordination, ne réalise pas quelqu'une des conditions imposées, sub gravi, par l'Eglise ou l'Evêque diocésain, il doit lui refuser l'absolution. Il le fait en vertu des principes suivants :

Il ne faut accorder l'absolution que si le pénitent est dans la disposition d'éviter à l'avenir tout péché grave.

Or, c'est un péché grave de vouloir se présenter à l'ordination sans avoir l'idonéité, requise "sub gravi" par les lois ecclésiastiques en vigueur.

297. — Il n'est pas législateur. Ces derniers mots sont essentiels. Le confesseur, n'a pas, en effet, le droit d'apprécier l'idonéité de son pénitent d'après les règles qu'il aurait lui-même composées, selon ses vues personnelles, serait-ce dans l'intention louable, si elle n'était indiscrète et illégitime, de promouvoir de son mieux l'honneur du sacerdoce catholique. Ce soin revient à l'Eglise hiérarchique ; elle seule a qualité pour dire ce qu'elle exige et ce qu'il est loisible d'exiger de ceux qui veulent être enrôlés dans les rangs de la milice sacrée. Confier cette affaire au confesseur serait ouvrir la porte à toutes sortes d'abus, d'excès de zèle, d'imprudences, qui auraient pour résultat d'arrêter sur le seuil du sanctuaire bon nombre de sujets qui auraient pu être très utiles à l'Eglise (1).

Non, le confesseur n'a pas le droit, après qu'il s'est créé un idéal à lui de sainteté cléricale, de prétendre y assujettir les séminaristes qui se présentent- à son tribunal. Il ne peut leur imposer que ce que leur impose l'Eglise ; car, il n'est pas législateur, lui, surtout en matière d'avancement aux Ordres, il applique simplement les lois existantes (2).

Or, l'Eglise par sa législation sur les irrégularités, et l'évêque diocésain par ses règlements personnels, ont fixé les conditions légitimes d'idonéité. Le confesseur ne peut faire qu'une chose : constater si son pénitent tombe sous quelqu'un des cas d'indignité, prévus par les lois de l'Eglise, générales et diocésaines. Si oui, il lui enjoint, sous peine de refus d'absolution, de renoncer aux Ordres, jusqu'à ce qu'il se soit mis en règle. Si non, le confesseur, comme tel, n'a pas à intervenir dans la question de l'ordination ; il donnera purement et simplement l'absolution à son pénitent, pourvu que celui-ci se trouve, d'ailleurs, dans les dispositions exigées de tout chrétien pour la bonne réception du sacrement de Pénitence.

Le pénitent a-t-il la science suffisante ? Le confesseur n'a pas à en décider ; ce jugement relève de l'Evêque.

A-t-il bonne renommée? Sa conduite extérieure est-elle à l'abri de la critique ? Le confesseur, pour la même raison,, ne s'en occupera pas davantage.

Son propre champ d'investigation est celui des irrégularités occultes, des indignités secrètes et des intentions perverses. On devine que ces cas sont pratiquement fort rares et que, le plus souvent, le confesseur des clercs exerce, comme tel, un ministère des plus faciles : ses pénitents ont un vrai repentir de leurs fautes ; leurs intentions sont droites, et leur passé n'est chargé d'aucun de ces crimes qui entraînent l'irrégularité ou l'indignité.

 

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(1) Nec valeret quod cum optima intentione impediendi damna Ecclesiœ id facerent ; non enim sunt facienda mala ut éventant bona.

Prœterea si confessariis in re tam gravi libertas hnjusmodi relinqueretar, nonne ex hoc ipso damna alicui passibili utilitati non-parum prœponderantia Ecclesiœ facile obventura essent ? Ita profecto. Ex imprudentia, ignorantia et zelo excessivo plurimorum confessariorum facile vix quisquam satis bonus, inveniretur. Dixit ipse S. Lig. (Praxis. 92) : " Quis est hic et laudabimus eum ? "

Hinc heu quoi subjecti, qui utiles velutilissimi de facto futuri essent e clero arcerentur ! Heu quot brachiis utilibus et necessariis Ecclesia adeo indigens privaretur ! Heu quantum, uno verbo, damnum subire cogeretur Ecclesia ab his confessariis ejus utilitatem quœrentibus !

BERARDI : De clerico ad ordines sacros initiando p. 37.

(2) Si res occultœ ita obstent, ut ordinandus absque peccato ordines suscipere nequeat, tune et hac in parte judicium de idoneitate ad confessarios quoque spectat. Quando autem nulla lex susceptionem ordinum vetet, tunc confessarii (qui legislatores non sunt, nec obligationes non subsistentes cuiquam imponere passant) vero propriœ auctoritatis abusu cum injuria pœnitentis se reos constituerent, si non solum consilia durent (quod semper facere poterunt) sed etiam ordinum susceptionem absolute illicitam esse decernerent illamque omnino impedire vellent.

BERARDI : ibid. p. 36.

 

298. — Un cas heureusement rare. Néanmoins, il peut arriver qu'un séminariste manifeste un tel état d'âme que son confesseur en conclue avec certitude qu'il n'a pas et qu'il est incapable d'acquérir l'idonéité requise. Dès lors, il doit lui faire promettre de ne pas avancer aux Ordres, sous peine de se voir refuser l'absolution.

Le séminariste qui a reçu cette injonction s'y soumettra, à moins qu'il n'ait de sérieuses raisons de douter que le confesseur n'a pas toute la science et la prudence désirables : auquel cas, d'après les règles générales qui régissent la conscience, il suffit qu'il soit prêt .à s'en tenir à la sentence d'un autre juge docte et prudent : " Paratus stare judicio alterius docti et prudentis (1). "

299. — Le confesseur et sa sentence. Tel est le rôle du Directeur de conscience, en tant que confesseur (2).

Il est Juge ; le pénitent est son subordonné. Il prononce, en matière d'idonéité, des sentences purement négatives, qui se ramènent aux deux espèces suivantes : " Vous n'avez pas le droit d'avancer aux Ordres " ; ou : " rien ne s'oppose à ce que vous avanciez aux Ordres, du moins pour la partie qui est de ma compétence et tombe sous ma juridiction ". Le Directeur, en tant qu'il se surajoute au confesseur, ira plus loin ; nous allons voir paraître en lui le conseiller prudentiel et le conseiller ascétique.

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* *

300. — Le Directeur de conscience en tant que conseiller prudentiel. De ce qu'un séminariste ne - reçoit pas de son confesseur l'ordre de se retirer, a-t-il pour cela le droit de conclure qu'il possède ou qu'il est capable d'acquérir l'idonéité requise ?

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(1) GURY II, N° 627.

(2) C'est le seul homme que la théologie sacramentelle connaisse. Le directeur de conscience, en tant qu'il se surajoute au confesseur et devient conseiller, est une création de l'ascétisme.

 

Nullement ; car rien ne l'oblige à dévoiler son intérieur à un confesseur comme confesseur, au-delà de ce qui est strictement exigé en vue de l'absolution. Or, les révélations nécessaires à l'absolution, même si un séminariste s'adresse durant une assez longue période au même prêtre, ne sont ni assez détaillées, ni assez profondes, pour fournir un fondement à un jugement prudent sur l'idonéité positive ; car ces révélations portent plutôt sur la fuite du péché mortel que sur l'acquisition positive des vertus.

Le responsable, ici, quand il s'agit d'affirmer l'idonéité intérieure, c'est, en définitive, le candidat lui-même. Sur ce point, le directeur n'agira plus en juge qui porte une sentence au sujet d'un subordonné ; il sera simplement un conseiller qui ne fera qu'une seule et même personne morale avec son dirigé.

Voici comment les choses se passent :

301. — Son rôle. Les juges de vocation, se basant sur tout ce qu'ils peuvent connaître de la science et de la vertu du séminariste, ont décidé qu'il était appelable " vocabilis ", et ils l'ont appelé.

Cet appel est valide, mais subordonné, en fait, à l'acceptation volontaire du candidat. Celui-ci a le pouvoir d'accepter, mais en a-t-il le droit ? Au for extérieur, rien ne l'en empêche ; c'est acquis. Mais dans le for intérieur de son âme, n'y a-t-il rien qui le lui interdise ? Son idonéité extérieure est chose jugée en sa faveur ; mais son idonéité intérieure est-elle suffisante pour lui permettre d'accepter prudemment l'appel qui lui est proposé? (N° 41).

Telle est la question qui reste à résoudre pour le séminariste. Mais, parce que sa science, son expérience, sa prudence, en matière si grave et si délicate, sont courtes, et, aussi, parce qu'il s'agit de porter un jugement en sa propre cause, c'est pour lui un devoir élémentaire de consulter. Consulter, telle doit être sa prudence à lui.

Ici se place le directeur spirituel, conseiller prudentiel et ascétique.

Le Directeur spirituel, au premier point de vue, est justement le conseiller dont le séminariste a besoin, un complément que le séminariste se donne au moment de prendre une décision grave et délicate. Sous cet aspect, on le voit, le directeur ne fait qu'une personne morale avec son dirigé ; en quoi il diffère encore du confesseur, lequel reste distinct de son pénitent, autant que le juge de celui qui est jugé.

S'il existe dans le Séminaire un prêtre officiellement attitré comme directeur spirituel, le séminariste, après s'être pleinement ouvert à lui, peut se reposer sur son jugement : la science, l'expérience, la prudence de ce prêtre lui sont garanties par le choix qu'en a fait l'Evêque.

Sinon, un premier acte de prudence pour le séminariste, c'est de choisir avec soin un directeur sage et prudent, et, au besoin, de ne se décider que sur le sentiment concordant de deux ou de plusieurs, de façon que la démarche qu'il fera en avançant, soit marquée au coin de la plus parfaite prudence.

Si les consultations convenables le conduisent à la conclusion qu'il doit se retirer, il se retirera, sous peine de faute grave, non point contre l'obéissance, laquelle n'est plus en jeu ici, comme elle l'était à l'égard du confesseur, mais sûrement contre la prudence, qui défend de se mettre dans un péril prochain de violer des vœux sacrés et de jeter le scandale dans l'Eglise.

Ce n'est pas à la veille des ordinations que ces sortes de conseils éliminatoires ou dilatoires doivent être donnés. Aussi Berardi dit fort justement : " Doctrina de hoc remedio adhibendo in tali circumstantia practice nullum effectum producere solet. Quandonam enim auditur quod in limine

ordinationis, et quando jam spiritualia exercitia peracta sunt, clericus a sacro ordine suscipiendo recesserit " (1) ? En ce moment, on imposerait à Ferdinand un véritable acte d'héroïsme. " Clerici, dit encore Berardi, ...ordinarie sine gravi damno receptionem ordinis differre non possunt... adde periculum ne suspectus contra ipsum (clericum) concipiantur. Adde, omnia esse parata. Virtus extraordinaria certe exigeretur, quæ in subjectis de quibus loquimur male sperari posset ".

C'est donc assez longtemps avant l'ordination, qu'un sage directeur verra si un séminariste est susceptible de formation convenable ou irrémédiablement voué à la fragilité d'une nature, incapable de solide vertu.

C'est ainsi que Berardi, se plaçant à un point de vue général, a pu dire : " Verum medium, quo spirituali saluti clericorum et bono Ecclesiæ prospici potest, in optinia clericorum ipsorum directione et tempestiva ejectione eorum qui circa annum decimum septimum inemendabiles apparent, reponi debet (1)."

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302. — Le Directeur de conscience en tant que conseiller ascétique. Supposons que la décision du ou des directeurs spirituels a été favorable. Le séminariste est libre d'avancer ou non ; car l'idonéité constatée n'ôte pas plus sa liberté au sujet qu'à l'Evêque. Le " hactenus liberi estis " s'adresse à tous les ordinands, quels qu'ils soient.

Alors paraîtra un troisième personnage, le directeur ascétique.

Le conseiller prudentiel, ne fait, en somme, que donner un simple " licet ", formulé à la lumière des principes de la simple prudence, garde-fou contre les périls du péché.

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(1) BERARDI ; loc. cit. p. 37.

(1) BERARDI ; ibid.

 

Le conseiller ascétique va plus loin, car il règle ses conseils d'après les principes de l'ascétisme, qui tendent à promouvoir l'ascension des âmes vers la perfection : ad meliora.

Au candidat, qui n'a encore qu'un simple " licet ", il conseillera, d'ordinaire, d'avancer ; il l'y exhortera, il l'y poussera même, et d'autant plus fortement que celui-ci sera plus timoré et porté à redouter, plus qu'il ne faut, les charges et l'honneur du sacerdoce.

L'idéal serait que le confesseur et le directeur spirituel se confondent en une seule personne. Et comme cela facilite beaucoup les choses, même pour le séminariste, c'est ce qui se pratique d'ordinaire. Mais, il était nécessaire, semble-t-il, de bien distinguer les rôles respectifs du confesseur et du directeur spirituel.

303. — Secret absolu qui entoure les sentences du directeur. Tel est le triple rôle du directeur de conscience dans le Grand Séminaire. Il estime, d'après tes données du for intérieur, si son pénitent est digne d'accepter l'appel qui lui est offert. Mais son jugement — sentence du confesseur, ou avis motivé du conseiller prudentiel et ascétique — est absolument secret : tellement secret que personne n'a droit ni permission de le connaître ; tellement secret que, lorsque l'évêque consécrateur pose la question : " scis illos dignos esse ", il ne s'adresse nullement au directeur de conscience, mais uniquement aux directeurs préposés au for extérieur ; tellement secret qu'un candidat peut malheureusement passer outre et se présenter à l'ordination malgré l'avis contraire de son confesseur et sans avoir à redouter son intervention ; tellement secret enfin que, lors même que le confesseur commettrait le sacrilège inouï de dévoiler publiquement l'indignité de son dirigé, on ne devrait tenir nul compte de ses déclarations, mais ordonner quand même ceux que les juges du for extérieur ont appelés.

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304. — Résumé et précisions nouvelles. Voilà donc nettement dégagée l'action du directeur de conscience. Elle est fort importante et, dans son ordre, capitale. Mais, qu'on veuille bien le remarquer encore, elle ne consiste ni à prononcer l'appel divin, ni à constater sa présence dans les sujets, ni même à déterminer, par une sentence officielle, si le sujet est apte " idoneus " à le recevoir.

305. — Double idonéité. L'idonéité, en effet, est double.

Il y a l'idonéité extérieurement connaissable, et, de celle-là, le confesseur n'est pas juge, mais uniquement l'Evêque et les Directeurs de Séminaire. Elle est la plus nécessaire et la plus complète, car elle enveloppe le candidat sous tous les aspects susceptibles de fonder un jugement de la part des foules qui ne peuvent critiquer que l'extérieur. De par ailleurs, elle est, le plus souvent, " ex ordinarie contingentibus ", accompagnée de l'idonéité intérieure : ils sont heureusement rares, en effet, les jeunes gens passés maîtres dans l'art de dissimuler, au point que leur indignité intérieure certaine ne se trahisse par aucun signe révélateur, tout le long des années de leur Séminaire. L'expérience prouve le contraire. Le Séminaire impose un genre de vie si spécial que l'indigne ne saurait s'y supporter, ni y être toléré longtemps : le Séminaire le rejette par le jeu spontané de son organisme, comme l'estomac expulse un aliment qu'il ne peut assimiler.

Reste donc l'idonéité intérieure. C'est ici que le directeur spirituel juge ou conseille, mais sa décision demeure absolument secrète et de nul effet pour ce qui regarde le for extérieur.

306. — Pratique générale. Sur ce point, la pratique universellement usitée dans les Séminaires nous donne absolument raison.

Le Directeur de conscience n'intervient pas dans la décision d'appel relativement à ses dirigés ; il est témoin muet ; parfois même, et cela vaut mieux, il est absent.

Après l'appel refusé à l'élève, il ne peut rien et ne doit rien tenter pour le lui faire accorder.

Après l'appel proposé à l'élève, celui-ci va trouver son confesseur, et lui demande s'il lui permet, comme juge et conseiller de sa conscience, d'accepter l'appel.

Le confesseur suivant le cas, défend, permet, engage, avec plus ou moins de force. Rarement il osera aller, croyons-nous, jusqu'à l'ordre absolu d'avancer.

Encore une fois, voilà son rôle essentiel d'après les principes et la pratique générale.

Il ne juge donc ni de l'appel divin, ni même de l'idonéité complète, mais de l'idonéité intérieure, et, en celle-ci de l'idonéité secrète seulement (1) ; de plus, son jugement en cette matière demeure absolument privé et de nul effet juridique.

307. — L'opinion contraire et les conflits qu'elle suscité. Autant, maintenue dans ces limites, son action sera bienfaisante, autant deviendrait-elle funeste, en les franchissant. Or, le confesseur les dépasse fatalement, s'il tient pour la doctrine qui met dans le sujet, antérieurement à l'appel de l'Evêque, l'appel sacerdotal au sens propre et formel du mot.

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(1) Il ne faut donc pas concéder sans restriction que le confesseur juge l'idonéité intérieure, mais seulement l'idonéité secrète, celle qui ne se trahit par aucun signe. Son domaine est habituellement fort restreint, car la plus grande partie des dispositions intérieures se traduit suffisamment à l'extérieur pour que les Directeurs en puissent décider. En voici une preuve évidente : ils sont relativement très rares les cas où les Directeurs appellent et où le confesseur, défendant d'accepter l'appel, ordonne le départ.

 

Mieux placé que tout autre pour découvrir et apprécier les indices révélateurs de cet appel divin, pénétrant au pas intime de la conscience pour analyser les attraits et surprendre, sur le fait, les pieux mouvements de l'Esprit-Saint, il estimera avec raison que son jugement sur la vocation doit passer pour le plus autorisé, parce que le plus éclairé. De son côté, le pénitent, confiant dans son directeur qu'il considère " comme l'interprète de la volonté divine dans la direction de sa vie (1) ", fort de la sentence d'appel qu'il en a reçue, se présentera avec assurance devant l'Evêque et ses délégués au for externe. Comment ne croirait-il pas avoir droit à l'ordination, lui que Dieu appelle au sacerdoce ?

De là d'inévitables conflits de juridiction.

En vertu de quels principes les directeurs au for externe et l'évêque lui-même oseront-ils rejeter celui en qui le directeur a découvert un véritable appelé de Dieu ?

S'ils passent outre, l'aspirant se dira injustement évincé, et, à leur sentence qu'il considérera comme purement humaine, il opposera la sentence divine de son confesseur.

308. — La paix dans les Séminaires. La paix n'est possible que par un retour sincère à la vérité. Les directeurs du Séminaire, agissant au nom de l'Evêque, jugent en dernier ressort de la non-idonéité d'un candidat. Quand ils l'ont reconnu inapte à l'appel divin, le confesseur n'a aucun droit de le déclarer appelable, moins encore de le dire appelé de Dieu.

Pour la même raison, le confesseur n'a aucun droit de contrôler le jugement des directeurs quand, agissant toujours au nom de l'Evêque, ils se sont prononces en faveur de l'idonéité du sujet.

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(1) BRANCHEREAU : De la vocation sacerdotale, p. 269. — Voir ci-dessus N° 243.

 

Néanmoins, il est à remarquer que, le plus souvent, dans l'intention des directeurs, la sentence qu'ils portent sur cette idonéité n'est pas absolue ; elle suppose, comme condition indispensable d'efficacité, que le sujet n'a caché aucune pièce essentielle de la cause.

Aussi n'imposent-ils jamais l'acceptation de l'appel ; ils ne font que le proposer ; et, jusque dans les cérémonies de l'ordination, l'Evêque adjure les ordinands de se retirer s'ils n'ont pas été sincères.

Cette attitude de l'évêque et des directeurs du Séminaire laisse donc la voie libre à une action légitime du directeur spirituel. Il peut fort bien, sans aller contre la sentence rendue, conseiller au candidat et parfois lui ordonner de refuser un appel qui n'est que proposé et conditionnel.

Si, par contre, la sentence épiscopale a été négative, le directeur de conscience ne peut rien lui opposer. Comme son pénitent, il n'a plus qu'à s'incliner et à se taire.

309. — Encore la pratique générale. Que nous sommes donc loin du rôle exorbitant qu'on attribue, ici et là, au Directeur spirituel ; mais ne sommes-nous pas plus près de la vérité ? Et la pratique universelle n'apporte-t-elle pas à notre théorie une éclatante confirmation ?

Comment ! voilà un homme que l'on nous montre comme le juge en dernier ressort de la vocation et que l'usage exclut formellement du jugement officiel où se décident les vocations ! Il n'y intervient d'aucune manière, souvent il n'y assiste même pas, et personne ne lui demande s'il appelle son pénitent aux Ordres ; non, personne : ni l'Evêque, ni les Directeurs du Séminaire, ni le pénitent lui-même ; car la formule que celui-ci emploie lorsque, après l'appel, il va trouver son confesseur, n'est pas : " M'appelez-vous au sacerdoce ? " mais cette autre, bien différente : " On vient de m'appeler au sacerdoce ; y a-t-il dans mon for intérieur quelque obstacle à mon avancement aux Ordres ? me permettez-vous, me conseillez-vous d'accepter l'appel ? "

310. — Attitude que doit garder le directeur. Telle est la question que le Directeur de conscience doit résoudre. Il a des grâces spéciales pour le faire. En dehors de là, toute intervention, toute démarche de sa part serait indiscrète. Il n'a pas qualité, ni par conséquent grâces d'état, pour juger de l'idonéité du candidat sous les autres points de vue ; il sortirait de son domaine en rentrant dans celui-là.

Il ne sera même pas tenté de le faire, s'il n'est que Directeur de conscience, comme dans les Séminaires d'Italie. I! devra résister à la tentation d'empiéter, s'il est en même temps Supérieur ou Directeur de Séminaire et, par conséquent, délégué aux appels pour les autres élèves du même établissement. Quand un des siens sera en cause, il se taira ; s'il le voit sous le coup d'une sentence de retard ou même de renvoi, il se taira encore. Après le prononcé de la sentence, alors surtout,, il s'interdira absolument tout acte qui semblerait un blâme pour ses confrères ou un essai de réhabilitation pour son protégé. Abnégation héroïque ! mais absolument nécessaire. Oui ! abnégation héroïque ; car on se sent au cœur, pour les siens, une tendresse toute paternelle, qu'il est bien difficile, en certains cas, de comprimer au point de n'en laisser rien paraître. On se laisse aller, par faiblesse d'âme, à intervenir avec chaleur en des débats qui devraient garder toute leur sérénité. On tâche d'intéresser tels et tels juges à la cause de la trop chère brebis ; que , sais-je ? Et ces tentatives, toujours illégitimes, sont de nature à soulever les plus graves désordres.

C'est une des raisons de haute convenance, qui motivent la répartition sur des personnes distinctes des fonctions du for intérieur et du for extérieur. L'Eglise est sage ; ne prétendons pas l'être plus qu'elle (1).

311. — Remarque : nulle intention de rabaisser le directeur spirituel. A Dieu ne plaise que nous ayons eu la moindre idée, dans les considérations qui précèdent, de chercher à diminuer, si peu que ce soit, le rôle du directeur de conscience. Nous voulons sincèrement nous maintenir dans les strictes limites de la vérité ; ce doit être là le souci de tous ceux qui s'occupent des clercs et collaborent, de quelque manière, à la grande œuvre du recrutement sacerdotal.

Loin de nous la pensée de restreindre la part qui revient, en cette affaire, au Père spirituel.

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(1) Dans les Séminaires d'Italie on trouve un Père spirituel exclusivement chargé des fonctions du for intérieur. Nous savons que plus d'un Séminaire de France a adopté la pratique italienne et s'en félicite de tous points. Mais peut-être n'a-t-on pas assez remarqué chez nous avec quelle force le Règlement imposé par le Saint-Siège aux Séminaires d'Italie, prescrit l'institution du Directeur spirituel. Voici deux articles qu'il est bon de bien saisir :

ART. 51. " Aucun Séminaire ne sera privé d'un directeur spirituel : On en fait un précepte formel et une grave obligation à tous les Ordinaires. "

ART. 57. " Les Supérieurs ou les professeurs du Séminaire ne pourront remplir en même temps la fonction de Directeur spirituel et celle dé Confesseur ordinaire. "

D'aucuns font semblant de ne pas tenir compte de cette pratique parce qu'elle est Italienne, ou, pour le moins, parce qu'ils la disent réclamée par le tempérament italien et par l'organisation spéciale des Séminaires d'Italie.

Nous osons affirmer qu'elle est humaine bien plus qu'italienne et que les raisons qui l'ont motivée en Italie se retrouvent, à peu près les mêmes, sous tous les climats.

D'ailleurs les NORMÆ COMMUNES pour la visite ad limina, semblent bien prescrire à tous les évêques cette institution. — Voir ci-dessus N° 294 ; note.

 

312. — Haute mission du directeur spirituel. Sa Mission dans le Grand Séminaire nous apparaît au contraire comme de la plus haute importance.

Il faut proclamer tout d'abord qu'il a, plus que tout autre, grâces d'état dans son domaine propre, à savoir pour juger, en tant que confesseur, des dispositions secrètes de son pénitent en vue du sacerdoce. Quand il a interdit à un séminariste d'avancer aux Ordres, quand il lui a formellement prescrit de rentrer dans le siècle, il doit être obéi. Lui résister serait une faute grave, et, se présenter à l'Ordination sous le coup de sa défense serait un péché de sacrilège; on est un intrus, un loup forçant l'entrée de la bergerie.

Juge de l'idonéité secrète, le Père spirituel est, par là même, la ressource dernière, l'arme suprême, dont puissent se servir Dieu et l'Eglise pour écarter du sacerdoce les indignes.

Les ministres légitimes, qui ont appelé tel sujet, sont des hommes, et leur regard, si pénétrant qu'on le suppose, ne saurait percer certains mystères de perversité qui peuvent, par exception heureusement fort rare, s'agiter dans une conscience humaine. Un élève qui donne toute satisfaction ,au point de vue intellectuel et qui, d'autre part, n'a pas été pris en flagrant délit d'indiscipline grave, sera appelé par les Directeurs. Or, il se trouve que cet élève cache dans les replis de son âme des désordres affreux, que le confesseur lui-même a eu grand'peine à surprendre ; et cet indigne est dans le dessein obstiné de devenir prêtre malgré tout.

Les Directeurs ont bien conçu quelque doute à son endroit ; certains indices, de fâcheux augure, leur font craindre de commettre, en l'appelant, une erreur funeste, car, plus d'une fois, leurs soupçons furent attirés de son côté ; mais le misérable a si bien su dissimuler son jeu, qu'il a réussi toujours à glisser entre les mains qui allaient le saisir. Et le voilà qui se propose maintenant d'avancer aux Ordres, sous le bénéfice de ses duplicités et de ses trahisons.

Personne ne se lèvera donc pour empêcher un tel malheur? Si ! et c'est le Directeur de conscience. Dans le secret de sa cellule il enjoindra à l'indigne de refuser l'appel qui lui est offert ; si le misérable persiste, il lui refusera toute absolution et l'acculera au sacrilège ; si l'obstination s'aggrave encore, il usera de tous les moyens surnaturels dont une âme sacerdotale dispose pour fléchir une âme rebelle. Le plus souvent — espérons que ce sera toujours ! — le Père spirituel triomphera et réussira à écarter du Sacerdoce celui qui menaçait d'en devenir la honte.

Telle est l'auguste et salutaire puissance dont dispose encore le Père spirituel pour l'honneur de l'Eglise et la gloire de Dieu.

313. — La mission ordinaire et la plus efficace. Il a enfin dans le Séminaire, une dernière mission à remplir, plus douce, plus efficace et de tous les instants ; celle de former les jeunes clercs à la vraie piété et aux solides vertus.

C'est lui qui à le rôle sinon le plus délicat, du moins le plus intime, dans la préparation de ces âmes de choix qui seront bientôt des âmes de prêtres. C'est à lui qu'incombé le travail minutieux de polir ces diamants, de ciseler ces pierres précieuses, de faire resplendir ces joyaux.

Guider les premiers pas des commençants, affermir, diriger leurs mouvements incertains et timides, aiguillonner la tiédeur des âmes trop molles ; encourager ceux qui progressent, soutenir ceux qui faiblissent, relever doucement ceux q"i tombent, modérer les ardeurs déréglées des uns, provoquer à de nouveaux élans la générosité des autres ; prodiguer à chacun une bonté toute paternelle, un dévouement que rien ne lasse, prévoir les difficultés délicates, ouvrir peu à peu les cœurs à la confiance la plus entière, deviner le caractère et les besoins particuliers de chaque conscience. Et pour réussir en tous ces efforts, maintenir toujours plus rayonnante, sous les yeux des séminaristes, l'image de Jésus Souverain Prêtre, son Sacré-Cœur, ses amabilités, ses tendresses souveraines : telle est, esquissée en des traits biens pâles, la charge sublime du Directeur de conscience dans un Grand Séminaire (1).

314. — Le directeur doit être un prêtre de choix. Aussi est-il facile de comprendre avec quel soin doit être choisi celui qui en sera investi.

Sur ce point, le Pontife que nous avons vu si préoccupé de la sanctification des clercs, Pie X, s'exprime ainsi : " Que dans chaque Séminaire, il y ait un directeur spirituel, homme de prudence au-dessus de l'ordinaire, et expert dans les voies de la perfection chrétienne, qui, avec des soins inlassables, entretienne les jeunes gens dans cette ferme piété, qui est le premier fondement de la vie sacerdotale (2) ."

Et avant lui Léon XIII avait écrit (3) :

" Une œuvre aussi importante exige principalement du directeur spirituel une prudence peu commune et des soins incessants ; cette fonction, dont Nous désirons qu'aucun Séminaire ne soit dépourvu, doit être confiée à un ecclésiastique très expérimenté dans les voies de la perfection chrétienne.

" Jamais on ne saura lui recommander assez de susciter et de cultiver dans les élèves, de la manière la plus durable, cette piété qui est féconde pour tous, mais qui, spécialement pour le clergé, est d'une inestimable utilité.

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(1) Un prêtre nouvellement nommé Père spirituel dans un Grand Séminaire se définissait ainsi son rôle : Passer dans la communauté comme une ombre qui ne voit rien, qui n'entend rien... Ma chambre, un confessionnal d'où rien ne transpire... Promouvoir la vie intérieure humble, cachée avec Jésus-Christ, etc.

(2) PIE X, Encycl. Pieni l'animo, 28 juil. 1906.

(3) LÉON XIII, Encycl. Fin del principio, 8 déc. 1902.

 

" Qu'il soit donc soucieux de les prémunir contre une erreur pernicieuse, assez fréquente chez les jeunes gens, qui est de se laisser tellement emporter par l'ardeur des études qu'on ne considère plus comme un devoir son propre avancement dans la science des saints.

" Plus la piété aura jeté des racines profondes dans l'âme des clercs, mieux ils seront trempés dans ce puissant esprit de sacrifice qui est tellement nécessaire pour travailler avec zèle à la gloire de Dieu et au salut des âmes. "

" Un saint prêtre, a dit Massillon, est le plus grand don que Dieu puisse faire à la terre. "

C'est par l'action du Père spirituel, heureusement harmonisée avec celle des Directeurs de Grand Séminaire, que Dieu fait ce présent au monde.

 

 

ARTICLE II

LES SUPÉRIEURS, DIRECTEURS, CONFESSEURS ET PROFESSEURS DES PETITS SÉMINAIRES.

 

315. — Application des règles précédentes aux Petits Séminaires. Après le directeur de conscience dans les Grands Séminaires, ceux qui tiennent la première place parmi les appelants auxiliaires sont les Supérieurs, Directeurs, Confesseurs et Professeurs des Petits Séminaires.

Nous serons relativement bref sur leur mission. Car à eux s'applique, toutes proportions gardées, ce qui a été dit plus haut au sujet des Directeurs de Grand Séminaire, ce que nous ajouterons dans la troisième partie sur les signes d'idonéité, enfin ce que nous venons de dire du Père spirituel dans les Grands Séminaires.

316. Triple cause d'éliminations. Au Petit Séminaire; te désir du Sacerdoce — ce qu'on prend souvent pour la vocation — va se précisant de plus en plus chez les uns ; chez d'autres, au contraire, Il va décroissant progressivement.

Une première sélection se fait donc spontanément, sur ce point important, dès le Petit Séminaire. Les uns persévèrent, les autres s'en vont.

Une deuxième sélection s'impose, même parmi ceux qui gardent le désir du Sacerdoce. Il en est, parmi eux, qui se montrent manifestement insuffisants au point de vue de l'intelligence. Il faut leur déclarer tout net, malgré leurs désirs, parfois très vifs, de rester, qu'ils se trompent de route et qu'ils doivent se diriger vers une autre carrière.

Enfin, parmi ceux qui veulent être prêtres, et dont l'intelligence est suffisante, une troisième et dernière sélection demeure nécessaire ; elle doit tendre à exclure ceux qui ne donnent pas assez d'espérance, soit au point de vue de la piété, soit au point de vue de la moralité et du caractère.

Ici, plus encore peut-être que sur les deux points précédents, on devra procéder avec un tact et. une prudence consommés. Les manifestations de la piété sont si diverses et les passions si changeantes ! Si l'enfant, au milieu de ses légèretés et de ses faiblesses, montre de temps en temps quelque générosité ; si ses chutes sont suivies d'élans de bon vouloir ; si ses tiédeurs habituelles sont traversées par quelques éclairs de véritable ferveur ; si les saillies de son mauvais caractère sont compensées par de bons et prompts retours ; il y a fort à espérer que le Grand Séminaire rai donnera ce qui lui manque à ces divers points de vite.

317. — Importance de la formation donnée dans les Petit Séminaire. Néanmoins, c'est bien dès le Petits Séminaires que l'on est en droit d'exiger, en germe, toutes les qualités nécessaires pour faire un bon prêtre, Car il est un fait d'expérience courante, c'est que depuis l'adolescence on change si peu ! Qui ne connaît la parole célèbre : " L'enfant est formé à cinq ans sur les genoux de sa mère. " On peut ajouter avec non moins de vérité : " Le prêtre est formé à 14 ans, à 16 ans, dès le Petit Séminaire, qui est comme son berceau (1). "

Au Grand Séminaire, en règle générale, il ne fera qu'améliorer ce qui est, il n'acquerra rien ou presque rien de ce qu'il n'y a pas apporté, au moins à l'état initial, le jour de sa rentrée, Son évolution se fera donc, au Grand Séminaire, et, plus tard, dans le sacerdoce, d'après le type qu'il réalisait pendant ses classes d'humanités, sous les yeux et la direction des professeurs et du Supérieur de son berceau sacerdotal.

Quelle responsabilité pour ceux-ci ; et combien ils doivent se préoccuper de tenir très haut, devant les regards des séminaristes, l'idéal du sacerdoce !

Le prêtre que cet enfant veut devenir, il le voit devant lui, en chair et en os ; c'est son professeur, son confesseur, son Supérieur. Il faut que toutes les impressions qui lui viennent de là soient des impressions vraiment sacerdotales. Les empreintes qui datent du premier âge sont les plus tenaces, les plus durables : elles survivent à l'oblitération de toutes les autres. Encore une fois, quelle responsabilité et quel sujet de graves méditations pour le personnel enseignant et dirigeant des Petits Séminaires !

318. — Juste sévérité pour la sélection des bons candidats. Le Petit Séminaire ne devrait donc envoyer au Grand Séminaire que des élèves qui donnent une espérance fondée de persévérance dans la carrière

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(1) " Adolescens juxta viam suam, etiam cum senuerit, non recedet ab ea. " Prov. XXII, 6.

 

sacerdotale (1). C'est dans ces maisons surtout qu'on doit éloigner tout ce qui ne paraît pas bon pour le Sacerdoce. " Les vrais conservateurs des forêts, a-t-on dit, sont ceux qui savent se résigner à couper les arbres, et le vrai Supérieur de Séminaire est celui qui a l'exclusion facile, raisonnée, non impulsive. Souvent il aura sujet dans l'avenir de regretter ses excès d'indulgence ; jamais il ne se repentira d'avoir maintenu très haut l'idéal d'honneur et de sainteté pro--posé aux élèves du sanctuaire. Qu'il ne se laisse pas émouvoir par des considérations humaines ou des préoccupations d'ordre matériel. Non multi, sed boni. La formule est excellente, elle vient d'un Père de l'Eglise, et elle trouve ici son application rigoureuse (2). "

Le rôle des Supérieurs, Directeurs, Confesseurs et professeurs de Petit Séminaire, au point de vue de la vocation, peut donc se résumer en trois mots, étudier les aptitudes, écarter ceux qui ne les possèdent pas, améliorer ceux qui les possèdent.

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319. — Elèves qui n'ont pas le désir du sacerdoce. Leur conseiller de rester encore. Ici, quelques questions pratiques se posent : Doit-on conseiller, ou même prescrire l'élimination d'un élève qui possède toutes les qualités d'intelligence, de caractère et de vertu, mais qui ne sent en lui aucun désir du sacerdoce ?

Que faire surtout, s'il déclare qu'il ne veut pas être prêtre? Nous osons répondre qu'il n'y a pas lieu pratiquement de trop s'inquiéter de cette absence de désir, ni même de cette déclaration contraire.

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(1) "Quorum indoles et voluntas spem afferat eos sacris ministeriis perpetuo inservituros. " Conc. Trid. sess. xxiii, cap. xviii. De Reformat.

(2) CUSSAC : La manie du nombre ; dans " Recrutement sacerdotal " 1904, p. 59.

 

Le plus souvent l'enfant, l'adolescent ne sait pas ce qu'il veut. Un Supérieur avisé lui dira donc : " Mon ami, ne vous hâtez pas de prendre une décision d'avenir. Vous n'avez pour cela ni la lumière, ni la maturité suffisantes. Je vous connais et je sais mieux que vous ce qu'est le sacerdoce. Lorsque vous le saurez vous-même, à votre tour, je vous l'assure, vous voudrez être prêtre. Vous possédez en germe tout ce qu'il faut pour ces fonctions, les plus nobles, les plus enviables de toutes. Ayez confiance en moi, entrez au Grand Séminaire. Là, quand vous connaîtrez mieux le Sacerdoce et les dispositions de votre âme, de vous-même vous direz : Je veux être prêtre. Que si vous n'arrivez pas à ce désir formel, et Si vos répugnances, bien loin de disparaître, viennent à s'accentuer plus encore, ne craignez pas, personne ne vous poussera de force. Vous pourrez toujours vous retirer et l'on vous aidera à trouver votre voie" Mais je crois fermement que vous voudrez, et de toute votre âme, être prêtre. ".

Telle est la conduite qui nous paraît devoir être tenue en pareil cas, et nous pensons, non sans motif, que plus d'une vocation est due à une intervention autorisée et énergique de ce genre, qui a su dissiper des perplexités irréfléchies, ou briser des répugnances plus instinctives que fondées.

320. — Le désir viendra. Cet enfant, avons-nous dit, a les qualités qui sont requises chez un aspirant au Sacerdoce ; il est d'une manière éloignée, mais certaine, idoneus, vocabilis. Il lui manque le vouloir. Si ce vouloir qui fait défaut à l'enfant, à l'adolescent, n'avait aucune chance de germer dans le jeune homme, fort bien : il faudrait empêcher l'élève d'entrer au Grand Séminaire. Mais c'est le cas contraire qui se réalise le plus souvent. Il y a donc lieu de ne pas laisser se perdre cette vocation en puissance. Il faut seulement lui laisser le temps de prendre conscience d'elle même et de s'épanouir en un désir formel qui, souvent, sera d'autant plus sérieux et durable, qu'il aura mis plus de temps à éclore et à s'affirmer. Par ce procédé on aura gagné un bon prêtre de plus.

321. — Que penser de l'attrait sans aptitudes. Tout autre serait notre réponse si, au lieu d'un défaut de vouloir, de désir, on avait constaté chez un élève du Petit Séminaire un défaut évident d'intelligence ou de vertu. L'intelligence ne s'acquiert pas (1) ; et il y a certaines natures vicieuses dont le mal paraît incurable. Ici là sévérité est un devoir. Il ne faut pas maintenir comme candidat à l'appel sacerdotal un enfant qui ne saurait jamais être dignement appelable.

Toute la première partie de notre ouvrage sert de fondement à ces deux sortes de solutions.

Et qu'on ne se récrie pas en disant que cette infériorité d'intelligence ou de vertu se trouve parfois en des sujets qui manifestent le plus vif attrait pour le sacerdoce et demandent avec larmes d'être admis au Grand Séminaire ; qu'on n'aille pas surtout affirmer que ces attraits prononcés sont un signe évident d'appel divin, et, qu'à n'en pas tenir compte, l'on s'expose à briser la carrière divine d'une âme prédestinée au sacerdoce... Ce sont là des expressions trop courantes dont nous avons déjà démontré l'inexactitude : l'appel divin n'est pas dans le sujet ; il lui vient du dehors, de l'Evêque ; et celui-ci ne peut le proposer qu'à des sujets aptes, dignes, convenablement appelables : idonei, digni, vocabiles. L'élève dont nous parlons ne saurait devenir vocabilis ; il ne faut donc tenir aucun compte de ses attraits pour le sacerdoce, ni de ses instances pour être admis ; il ressemble à l'enfant qui demande en trépignant qu'on lut donne une étoile.

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(1) Voir ce que nous disons plus bas IIIe partie, chap. ii à propos de l'esprit borné.

 

Si, dans ce dernier cas, la présence de l'attrait n'est nullement un signe de vocation, son absence ne saurait être alléguée contre la solution que nous avons donnée au premier cas. Il y a des inaptitudes irrémédiables ; mais l'absence d'attrait n'est pas du nombre, surtout si on l'entend d'un attrait sensible. D'autre part, si le défaut de désir ou de volonté au sujet du sacerdoce est chose plus grave, il ne faut pas oublier que cette volonté et ce désir, qui n'existent pas aujourd'hui, pourront éclore demain, et que, même, certaines répugnances ont toutes chances de tomber.

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322. — Rôle des Petits Séminaires. En résumé, le Petit Séminaires, est une sorte de premier noviciat sacerdotal, où l'on doit étudier, surtout au point de vue des aptitudes intellectuelles et morales, les aspirants aux Ordres, afin d'éliminer tous ceux qui ne donnent pas de garanties suffisantes pour l'avenir. Quant à ceux qui témoignent d'aptitudes marquées, il faut les envoyer au Grand Séminaire, même dans le cas où leur volonté d'être prêtre ne serait pas arrêtée, et même s'ils éprouvaient de ces répugnances dont nous avons parlé. Le plus souvent ces répugnances et ces irrésolutions feront place à une volonté très éclairée et très ferme. Tous ceux qui sont aptes, idonei, peuvent, s'ils sont bien conduits pendant leur Grand Séminaire, aboutir convenablement au Sacerdoce ; il faut donc les considérer comme de la bonne matière à vocation, comme des sujets qui deviendront susceptibles de recevoir l'appel divin.

323. — Nombreux déchets de vocations. Le Petit Séminaire, s'il réussissait pleinement dans son œuvre d'épuration, n'enverrait guère au Grand Séminaire que des sujets vraiment dignes et dont la plupart, presque tous, parviendraient de fait au sacerdoce.

En est-il toujours ainsi ? A voir ce qui se passe, il semble bien que non. Et l'on peut rappeler ici, en les appliquant à la question présente, ces graves réflexions d'un illustre éducateur de la jeunesse cléricale : " Il se produit, avouons-le franchement, une perte de vocations qui ne laisse pas d'être inquiétante. Il serait malaisé d'établir la moyenne du déchet qui se fait chaque année ; mais ce déchet est considérable. Sur quarante élèves qui ont fait partie d'un même cours, avec un désir sincère d'être prêtres, depuis la huitième jusqu'à la fin du Grand Séminaire, combien sont ordonnés ? Dans certains diocèses, c'est un sur dix ; en d'autres, c'est un sur six ; dans les plus avantagés, ce sera tout au plus un sur quatre. Si quelque diocèse veut se rendre promptement compte de ses pertes, qu'il prenne l'allocation donnée à ses Séminaires, qu'il calcule le nombre des élèves subventionnés et qu'il le compare au chiffre moyen des prêtres ordonnés chaque année. On est effrayé quand on apprend que, dans certains diocèses, chaque prêtre n'a pas coûté moins de dix, vingt, trente ou même quarante mille francs à la caisse diocésaine (1)."

324. — Conclusion pratique. Il faut donc, pour alléger les charges des diocèses, procéder le plus tôt possible, aux exclusions nécessaires. Il le faut aussi pour préserver ceux qui doivent rester du contact des esprits douteux ou pervers. D'ailleurs, au Petit Séminaire, les éliminations sont plus faciles, parce qu'elles jettent moins d'odieux, soit sur ceux qui les prononcent, soit sur ceux qui les subissent.

Les examens de passage d'une classe à l'autre, surtout les examens de passage du Petit au Grand Séminaire, écarteraient tous ou à peu près tous les esprits insuffisants.

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(1) GUIBERT dans Recrutement Sacerdotal, 1901 p. 156.

 

L'examen de chaque jour, de tous les instants arrivera à découvrir, pour les exclure sans pitié, les orgueilleux et les pervers (1). Le Grand Séminaire ne recevra ainsi que de la bonne et féconde graine de prêtre, toute gonflée d'espérances.

 

ARTICLE III

LES PRÊTRES POURVOYEURS DES SÉMINAIRES.

325. — Le berceau des vocations. Le Petit Séminaire est le berceau des vocations ; mais on peut affirmer, en règle générale, que ce sont les prêtres, surtout les curés de paroisse, qui doivent travailler à peupler et à repeupler sans trêve ces berceaux du sacerdoce. A leur sujet nous toucherons cinq questions :

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(1) Qu'on nous permette de reproduire ce conseil donné par un homme de haute compétence : " C'est un fait d'expérience dont

" il ne, me plaît pas de rechercher aujourd'hui les causes assez

" délicates : le prêtre se retrouvera, dans l'évolution de sa vie

" sacerdotale, conforme au type qu'il réalisait au Petit Séminaire

" plutôt qu'au Grand Séminaire. Aussi en cette première maison

" doit-on exercer une surveillance active, minutieuse, paternelle

" certes, mais clairvoyante. Et pour aider le supérieur en cette

" tâche ardue, je me permets de préconiser un moyen qui, je le

" sais, laisse peu de chance à l'erreur. Tous les mois, le supérieur passera en revue, au conseil des professeurs, la liste des

" élèves ecclésiastiques. Chacun d'eux fera l'objet d'une enquête

" scrupuleuse. Les aptitudes intellectuelles, la régularité du travail, les qualités physiques et morales, les efforts pour l'amélioration du caractère, la piété, les tendances devront être examinés avec attention. Tous, professeurs et surveillants, apporteront le fruit de leurs observations personnelles et discuteront,

" sous le regard de Dieu, sans acception de leurs préférences ou

" de leurs antipathies, la valeur des vocations à l'étude. Et si

" tel élève, après une observation plus ou moins longue, continue

" de, se montrer dissimulé et égoïste, mièvre ou relâché dans la

" piété, insensible aux réprimandes, peu scrupuleux dans l'accomplissement du devoir, le conseil doit formuler contre lui un " avis d'exclusion. "

CUSSAC " Recrutement sacerdotal ", 1904, p. 58.

 

326. Devoir des prêtres de recruter des prêtres. " Tout prêtre doit être un recruteur de prêtres. " Telle est la déclaration unanime des évêques.

" Qui donc, s'écrie l'un d'eux, qui donc pourvoira à la succession du Sacerdoce ? Qui donc s'inquiétera des vides qui se font chaque jour dans ses rangs ? Qui aura la sainte jalousie de les combler, si ce n'est le prêtre ? "

Et un autre : " II faudrait qu'il n'y eût pas dans le diocèse un seul prêtre qui, avant de paraître au tribunal de Dieu ne pût dire : Non omnis moriar, car je laisse après moi un autre moi-même, héritier de ma pensée, continuateur de ma mission sacerdotale. "

A son tour, Mgr Bougaud déclarait " qu'un prêtre qui préparait des enfants pour les Petits Séminaires était dix fois plus prêtre (1). "

Enfin Mgr Dupanloup : " On dit, et avec raison, que c'est beaucoup de faire un homme, et que la vie entière d'une mère chrétienne y est bien employée ; je dis, moi, que c'est incomparablement plus encore de faire un prêtre et qu'un ministre de Jésus-Christ qui dans sa vie n'aurait fait que cela, n'aurait pas perdu sa vie... "

" Beaucoup d'enfants, ajoute-t-il, qui auraient été prêtres, et bons prêtres, ne l'ont pas été, parce qu'il ne s'est pas trouvé là un curé, un vicaire, attentif et zélé, pour révéler à eux-mêmes ou à leurs parents la vocation naissante et la cultiver. "

Cette dernière parole est très grave, et combien vraie ! Des vocations sacerdotales en puissance, les dispositions an sacerdoce, Dieu les sème en grand .nombre. Combien de ces graines sacrées se perdent, emportées par les vents, parce qu'il ne s'est pas rencontré un prêtre pour les recueillir et les placer en bonne terre, en terre de Séminaire.

" Tout prêtre doit être un recruteur de prêtres. " Ce principe énonce un devoir et Dieu seul peut mesurer l'étendue des responsabilités de ceux qui y sont infidèles.

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(1) " Recrutement sacerdotal" 1902, p. 250.

 

327. — Premier soin du prêtre recruteur. Le prêtre, le curé de paroisse, qui a pris conscience de ce devoir, doit tout d'abord se préoccuper de chercher des candidats pour le sacerdoce. " S'en préoccuper d'une manière effective, et, par suite, avoir l'esprit toujours orienté de ce côté, et attentif à discerner les enfants les meilleurs, au triple point de vue de l'intelligence, de la piété et de éducation familiale. Rechercher ces enfants à l'école libre, "il nous avons accès, à la maîtrise, au catéchisme, et, par conséquent, nous faire aider pour cela — chose absolument indispensable — par nos vicaires dont nous enflammerons le zèle. Soyons sûrs que si nous prenons ces moyens, il ne se passera pas d'année où nous ne trouvions quelqu'enfant qu'il y ait lieu de suivre et qui mérite des soins particuliers, en vue du grand et du saint avenir auquel nous aurons pensé pour lui (1)."

Le prêtre recruteur aura soin, avant tout, de prier, et. souvent, pour que Dieu lui donne la grâce de faire de bons choix et de réussir à gagner au sanctuaire ceux qu'il aura choisis.

Le catéchisme de première communion, privée ou solennelle, est le terrain le plus propice pour l'étude des vocations. Là, le regard du prêtre pénètre dans l'âme de l'enfant à des profondeurs où l'œil même de la mère n'a pas d'accès. Au catéchisme, l'intelligence, le cœur, le caractère, la piété se révèlent par un ensemble de signes qui fondent un jugement certain. L'enfant ne sait pas dissimuler, ou, s'il dissimule, il le fait si maladroitement que ses ruses naïves sont vite percées à jour. Un curé tant soit peu avisé peut donc affirmer, en montrant les enfants de son catéchisme, son cher petit troupeau de prédilection : " cognosco oves meas ", ces petits agneaux, ah ! je les connais bien ; pour moi leur âme est transparente comme si elle animait un corps de cristal.

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(1) ALLAIN : "Ce que peut un curé" dans " Recrut sacerdotal" -1901 — p. 63.

 

328. — Manière de discerner les idoines. Mais comment le prêtre distinguera-t-il les enfants que l'on pourrait dire divinement marqués pour le sanctuaire ? ou mieux à quels signes pourra-t-il reconnaître qu'il est en présence d'un candidat possible à l'appel sacerdotal ?

Le critérium est très simple ; et c'est pour avoir adopté de fausses théories, qu'on l'a compliqué à plaisir.

Voici un enfant intelligent, d'un caractère docile et ouvert, aimé de ses camarades, convenablement pieux, d'une famille honnête. Le prêtre, en constatant cet ensemble de qualités ne concluera pas : " Cet enfant est appelé de Dieu " ; cette conclusion est toujours impossible à tirer, et, d'ailleurs, parfaitement inutile : toute la première partie de cet ouvrage en fait foi. — Le prêtre dira tout simplement et ceci suffit : " Voici un enfant qui paraît avoir toutes les aptitudes requises pour faire un bon séminariste ; je vais déployer mes efforts pour orienter sa pensée et ses désirs vers le Séminaire et le sacerdoce. "

Découvrir des aptitudes et nullement l'appel divin, au sens propre du mot, voilà donc l'œuvre primordiale du prêtre recruteur.

Or, découvrir ces aptitudes initiales ne dépasse la portée d'aucun prêtre vraiment prudent et tant soit peu attentif à étudier les enfants de son catéchisme.

329. — Nécessité d'examiner le milieu familial. L'étude de l'enfant doit s'accompagner de l'examen des parents. Le milieu familial, chacun le sait, exerce une action prépondérante sur la formation de l'enfant. Il faut donc considérer de quelles influences, favorables ou hostiles au sacerdoce, l'enfant peut se trouver entouré au foyer de la famille. Mais il faut surtout tenir compte des dispositions de la mère. Si la mère est pieuse, solidement chrétienne, on peut marcher sans crainte, agissant en même temps sur la mère et sur l'enfant, sur l'enfant par la mère. Si le milieu familial ne donne pas des garanties suffisantes, il vaut mieux, en règle générale, renoncer à pousser l'enfant vers le sacerdoce, quand bien même il le désirerait vivement. Tôt ou tard, en effet, son milieu le ressaisirait et le détournerait de la carrière sacerdotale entreprise.

330. — Ne pas se laisser prendre aux attraits de l'enfant. Et qu'on n'aille pas prendre les désirs, même très vifs, de l'enfant pour une marque de vocation. Ces désirs enfantins se trompent le plus souvent d'objet. Que peut connaître du véritable sacerdoce l'enfant de dix ou douze ans ? Peut-être a-t-il vu ou admiré son Evêque qui passait, crosse en main et mitre en tête, au milieu des foules prosternées. Ce spectacle l'a ébloui, il veut être prêtre pour devenir évêque ! ou encore, il s'est dit plus ou moins, ou s'est laissé dire, que le prêtre n'avait rien à faire, que c'était très commode d'être curé, etc. etc. ; ou enfin il a pris plaisir à revêtir de gentils ornements et à célébrer un semblant de messe avec sa petite sœur comme enfant de chœur... Arrêtons-la les hypothèses ; on pourrait les multiplier indéfiniment. Rarement on trouvera réalisée, chez l'enfant, celle d'un désir éclairé et vraiment sérieux du sacerdoce.

Si les désirs même très vifs, si les attraits même très prononcés devront entrer à peine en ligne de compte pour guider le premier choix que nous ferons des candidats du sanctuaire, nous nous garderons par-dessus tout de considérer l'absence de ces désirs ou attraits chez un enfant comme une marque 'de non vocation et comme un signe qu'il n'y a pas à chercher en lui un futur prêtre.

Ce qui importe, presque uniquement, pour entreprendre une œuvre de vocation, c'est de constater des aptitudes réelles, certaines, et un milieu familial favorable ou, à tout le moins, neutre.

Donc tout enfant intelligent, docile, ouvert, pieux, issu d'une famille honnête et chrétienne, pourra être l'objet d'un choix éloigné de la part de son pasteur, et celui-ci devra s'efforcer de diriger cet enfant vers le Séminaire.

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331. — Tactique à employer pour gagner l'enfant choisi. Tout d'abord le curé se gardera bien, d'après de fausses idées sur la vocation, d'attendre que l'enfant prenne l'initiative et vienne lui manifester son désir d'être prêtre. Même quand il a ce désir, le pauvre petit, retenu par la timidité, n'osera, le plus souvent, l'exprimer lui-même.

Le curé se gardera également de poser à brûle-pourpoint la question : " Mon enfant, veux-tu être prêtre ? " II n'est pas du tout nécessaire, en effet, que ce désir préexiste dans l'enfant, chez qui l'on a reconnu des aptitudes pour le sacerdoce. Ce désir, il faut s'appliquer à l'éveiller, à l'exciter.

Que le prêtre s'ingénie à orienter du côté du sacerdoce les pensées de ses élèves du catéchisme, qu'il attire souvent et de plusieurs manières leur attention sur ce sujet capital.

Pour cela, il faut avoir recours à diverses industries, comme de faire prier pour les prêtres, de parler des Séminaires, à l'occasion, par exemple, de tel séminariste de la paroisse ou du voisinage.

A l'époque des Quatre-Temps, il fera prier pour les ordinands, il expliquera ce qu'est une ordination, il dira avec clarté et chaleur le bonheur de ceux qui vont monter pour la première fois à l'autel, rappelant et décrivant le bonheur qu'il a ressenti lui-même au jour de sa première messe.

Surtout, il aura soin de préparer d'une manière plus spéciale l'exposé catéchistique du sacrement de l'Ordre. C'est là, plus spécialement, que le recruteur de prêtres montrera son zèle, déploiera tous ses moyens et remportera ses plus beaux succès.

Or, dans ses exhortations, le curé s'adressera, sans doute, à tous les enfants du catéchisme ; cependant il aura soin de suivre, d'un regard discret, mais plus attentif, l'élu ou les élus de son cœur, essayant de surprendre sur leur physionomie l'effet de ses paroles, accommodant plus spécialement son discours à leur tournure d'esprit et à leurs goûts.

332.— Conquête progressive. Cette parole générale sera suivie d'une parole plus personnelle, adressée à l'enfant. Ici il faut procéder avec la plus grande prudence et un tact des plus avisés, car une fausse manœuvre peut tout compromettre sans retour. D'abord une allusion très lointaine : " N'est-ce pas, mon enfant, que le sacerdoce est une fonction très belle ? " — Ensuite, et à des intervalles plus ou moins éloignés, — selon que ça répond — on va précisant peu à peu sa pensée : " Il n'y a pas de plus grand honneur pour un enfant que d'être choisi pour le sacerdoce. " — " Que c'est beau, mon enfant, de sauver les âmes !.. " — " Bien des âmes se perdent pour l'éternité, parce qu'il n'y a pas assez de prêtres... " — " Si le bon Dieu vous demandait d'être prêtre, mon enfant, n'est-ce pas que vous ne lui refuseriez pas ?.. " — " Il faut prier, mon enfant, pour demander au bon Dieu qu'il vous fasse la grâce de vous appeler au sacerdoce. " — " Si vous saviez comme on est heureux au Séminaire, etc. etc... " A chacune de ces paroles, dont plusieurs seront mieux dites dans le secret du confessionnal, le curé recruteur étudie l'attitude de l'enfant, essaye de le faire répondre, en lui suggérant les mots qu'il voudrait entendre.

Dans cette œuvre de conquête progressive, il se fera aider des parents, de la mère surtout, si elle est chrétienne et si elle comprend son devoir.

C'est donc un siège en règle qu'il lui faut entreprendre, pour gagner son petit candidat et l'incliner insensiblement vers le but désiré.

333. — Obstacles à éviter. Quelquefois, il sera nécessaire de le disputer au père et à la mère, qui sont bons chrétiens, sans doute, mais n'ont pas le courage de donner leur enfant au bon Dieu. S'ils sont opposés par un mauvais vouloir formel, il vaut mieux ne rien tenter; un milieu familial si défavorable serait funeste à la vocation.

Souvent aussi, il aura à soustraire l'enfant aux influences mauvaises de ses compagnons, peut-être même de ses maîtres d'école.

Il y a des paroisses, où tout semble se liguer pour étouffer dans une jeune âme les premiers désirs du sacerdoce ; dès que les petits camarades commencent à soupçonner son désir ou même une simple velléité, il n'est pas d'allusions malignes, de moqueries, de sarcasmes, qu'ils n'emploient contre lui. Nouveau Tarcisius, il se voit obligé de défendre contre ses persécuteurs précoces le trésor précieux qu'il porte en son cœur. Dans ce cas, le prêtre recruteur déploiera un courage et une ténacité à toute épreuve. Comme une lionne qui défend ses petits, il jettera une terreur libératrice parmi les tyrans de son protégé ; il réconfortera celui-ci en lui montrant la croix et en l'initiant, par de douces paroles, à goûter l'austère joie que trouve l'âme à souffrir pour Jésus.

Une vocation ainsi conquise, de haute lutte, peut se promettre l'avenir.

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334. — Méthode d'autorité persuasive. Pour gagner l'enfant que l'on a choisi, pour réussir à diriger ses pas vers le Séminaire, il y a, outre la méthode de persuasion que nous venons de décrire, une seconde méthode qui consiste à procéder par voie d'autorité. On peut l'employer quand on est à peu près sûr du consentement des parents et de la docilité de l'enfant. Voici la manière : Après avoir souvent parlé du sacerdoce et des Séminaires, comme nous l'avons indiqué plus haut, le curé appelle son petit candidat, et, d'un air grave, doux, il lui tient à peu près ce langage :

" Mon enfant, vous savez que je suis le représentant du bon Dieu auprès de vous. J'ai charge de votre âme et mission pour vous guider sur le chemin du ciel. Les petits agneaux sont en sûreté quand ils suivent le berger. Le bon Dieu m'a fait votre pasteur ; en suivant mes conseils, c'est au bon Dieu lui-même que vous obéirez.

" J'ai particulièrement mission et grâce pour vous diriger dans l'affaire si importante du choix d'un état de vie. Eh bien ! mon enfant, j'ai trouvé une carrière qui va très bien aux bonnes dispositions que le bon Dieu vous a données ; cette carrière que j'ai choisie pour vous est la plus belle de toutes, celle du sacerdoce. Là vous ferez plus facilement votre salut, en travaillant à conquérir beaucoup d'âmes pour le ciel.

" Jésus vous convie à cet honneur incomparable ; par ma voix, II vous fait entendre un premier appel : l'invitation à vous préparer.

" Plus tard, si vous répondez aux grâces qu'il vous réserve tout le long des années de formation, il vous appellera de nouveau, très solennellement, par la voix de Monseigneur l'Evêque. Alors, ce sera l'appel véritable, qui vous invitera à entrer dans les rangs des ministres du Seigneur.

" Mais déjà, le bon Dieu vous appelle par la bouche de votre pasteur. Répondez, avec la docilité du jeune Samuel ; " Seigneur, puisque vous me voulez, me voici ! "

Certains enfants ne résisteront pas à une pareille exhortation, et cette conquête, qui aura été si facile, n'en sera pas moins durable.

335. — Le curé et l'évêque agissant de concert. Cette méthode d'autorité est encore plus efficace sur les parents et sur l'enfant, quand le curé fait intervenir l'Evêque, à l'occasion des tournées de Confirmation. C'était le procédé de l'illustre cardinal Bourret et c'est à quoi le diocèse de Rodez doit cette merveilleuse moisson de vocations sacerdotales et religieuses, dont il est si justement fier_ Voici la méthode du cardinal : " De passage dans un village, allant par les rues ou se promenant par les chemins, il observait les enfants, et séduit par un regard pur et vif, par une physionomie ouverte et bonne, il engageait une conversation qu'il concluait par cet appel : " Tu serais un bon prêtre.., veux-tu ?... " D'ordinaire, avant la Confirmation, il se faisait renseigner par le clergé de la paroisse sur les plus pieux, les plus intelligents, les mieux doués, à tous égards, des enfants appelés à la recevoir, et encore sur la situation des parents : s'il prenait volontiers ses élus parmi les pauvres, encore ne les voulait-il pas trop indigents, et sortis de familles pour qui leur admission au Séminaire eût été tout profit. Le tour de l'enfant venu, le curé, d'un geste discret, le désignait à l'Evêque, qui, l'ayant confirmé, lut disait : " On m'assure que tu serais un bon prêtre. Je te prends. Tu seras curé ici, vicaire là... " puis, d'un signe de croix au front, le marquait : c'était le ternie adopté. La cérémonie terminée, l'enfant, tout joyeux, courait vers sa mère : " Maman, Monseigneur m'a marqué, m'a nommé curé. Il faut que j'étudie. " Le plus souvent, la maman acquiesçait, très contente, et le père ne disait pas non. Le plus souvent aussi, enfant et parents persévéraient dans ces bonnes dispositions, et, un jour, un fruste et solide paysan rouergat se présentait au palais épiscopal de Rodez, accompagné de son garçon : " Monseigneur, depuis que vous l'avez marqué, il ne rêvait plus que du Séminaire. M. le Curé l'a mis au latin, l'a gardé quelque temps. Maintenant, je vous le donne."

Ou encore, dans le cours même de la cérémonie, quand il avait adressé son invitation à l'enfant de son choix, l'Evêque faisait comparaître la mère, et, publiquement, lui tenait ce discours : "On me dit beaucoup de bien de votre fils. On m'affirme qu'il serait excellent prêtre. Faites-le étudier. S'il le faut, vous vous imposerez quelques privations, pour gagner l'honneur que Dieu vous propose ; et je ferai le reste. Vous me donnez ce petit, n'est-ce pas ? Allons, je le marque pour mon Séminaire. " En ces pays de foi, l'offre était toujours bien accueillie ; la mère, fière et heureuse à en pleurer, trouvait à peine la force de répondre, et l'Evêque, s'emparant du petit élu, le remettait au pasteur de la paroisse : "Je vous le confie. Veillez sur lui, préparez-le,, puis envoyez-le moi (1)."

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336. — Méthode de résignation. Après la méthode de persuasion et la méthode d'autorité, il en est une troisième que nous osons recommander et que, par manière de parallélisme, nous pourrions nommer la méthode de résignation.

Il s'agit toujours d'un enfant chez qui l'on a découvert toutes les aptitudes convenables : intelligence, caractère docile et ouvert, piété, vertu ; mais il a toutes sortes de répugnances pour le Séminaire et le sacerdoce, répugnances indéfinissables, sans motif réel, et, par conséquent, pratiquement négligeables.

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(1) Recrutement sacerdotal, 1901, p. 194.

 

Son curé a employé inutilement auprès de lui persuasion et autorité ; toute son éloquence a échoué. L'enfant demeure inébranlable. Faut-il donc abandonner la partie et renoncer à toute tentative ? Non ! il reste à obtenir des parents que, de leur propre initiative, ils envoient l'enfant au Séminaire, mais uniquement pour qu'il aille étudier sur place ce qu'est un Séminaire avec la réserve expresse que s'il continue à ne vouloir pas être prêtre, on ne l'y contraindra d'aucune manière. Qu'il se résigne seulement à accepter l'épreuve par laquelle ses parents désirent le voir passer.

De son côté, le curé assurera à l'enfant qu'on ne veut nullement le pousser de force à la prêtrise et qu'il sera le premier à le faire sortir du Séminaire, lorsqu'il sera établi que la carrière sacerdotale, vue de près et mieux connue, n'a pas provoqué son vouloir.

En bien des cas, lorsque les parents s'y prêtent volontiers, ce procédé réussira ; car souvent le motif inavoué des résistances de l'enfant, c'est la crainte de ses camarades. En le conduisant au Séminaire par une sorte de contrainte, on le protège contre les railleries, dont plus tard il sera le premier à se moquer.

Et qu'on ne se récrie pas contre ce procédé de contrainte résignée. Les parents ne doivent-ils pas souvent l'employer pour faire entrer leur enfant au collège ou au lycée ? Pourquoi serait-il interdit de l'utiliser pour l'entrée au Séminaire, pourvu toutefois qu'il soit bien entendu, ainsi que nous l'avons expressément déclaré, que cette contrainte morale n'est que provisoire et qu'elle n'a d'autre but que de protéger l'élève contre ses camarades, ou contre ses propres irrésolutions (1) ?

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337. — Soins attentifs dont il faut entourer le jeune candidat. Voici donc un enfant que son curé a réussi à gagner, à conquérir, par l'une ou l'autre des méthodes dont nous venons de parler. Aussitôt, il concentre sur son cher trésor toutes les sollicitudes de son âme. A lui frayer la route du sanctuaire, à guider ses premiers pas, quelles joies, ô vénéré Pasteur, n'allez-vous pas goûter ! " Vos cheveux blanchissent ; peut-être le calice commence-t-il à trembler dans vos mains défaillantes, " Ego enim jam delibor ! " Comme vous, allez être heureux, si Dieu vous ménage assez de jours pour le remettre à cet héritier de votre Sacerdoce ! Désormais, il sera l'enfant du presbytère, vous allez redevenir jeune pour l'instruire, et relire pour lui les pages jaunies du vieux rudiment ; il vous servira la messe le matin, il vous accompagnera parfois dans vos visites aux malades ; il égaiera de ses jeux, de ses ébats, vos moments de loisir ; et, quand l'heure de la récréation sera finie, et que vous le quitterez pour prendre votre bréviaire, par la fenêtre entrouverte il vous suivra encore du regard sous l'allée de tilleuls ou de charmilles, tout en étudiant sa leçon ; il se sentira doucement porté vers Dieu par le spectacle de votre prière. Il grandira ainsi vers Dieu, par l'influence de vos leçons et de vos exemples, sous ce doux et fécond rayonnement de votre âme sacerdotale, jusqu'au jour où, confiant et fier, vous le présenterez au Séminaire. "

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(1) Sainement comprise, cette méthode n'a rien d'un "procédé d'embauchage et d'envoûtement. ". Si l'on veut bien la considérer dans son ensemble avec les réserves faites, elle paraîtra inattaquable.

D'ailleurs, nous l'avons vu, la pratique de l'Eglise, loin de la proscrire, la permet, et même la préconise.

Se surprendront à la critiquer ceux-là seuls qui sont encore hantés du fantôme de l'appel divin intérieur, qui doit se manifester lui-même par les désirs et les attraits spontanés de l'enfant.

 

Et l'orateur que nous venons de citer continue en s'adressant encore aux curés de paroisse : " Messieurs, n'est-ce pas là une évocation de votre passé et ne viens-je pas de lire une page de votre propre histoire ? Interrogez vos souvenirs d'enfance ; il est impossible que vous ne trouviez pas, à côté de celui de votre mère, un visage de prêtre qui s'irradie dans le lointain de votre vie, de tout ce que la reconnaissance peut mettre de rayons au front d'un être humain ; c'est le visage de votre curé, de votre vicaire, d'un maître aimé, qui vous a fait ce que vous êtes et auquel vous devez, avec les joies de votre pure jeunesse, la sauvegarde de votre vocation. Messieurs, vous rendrez à d'autres le service que vous avez reçu ; vous y mettrez le dévouement, la sollicitude, la tendresse paternelle dont votre propre enfance a été entourée : et ainsi vous ne mourrez pas tout entiers, vous revivrez dans l'enfant de votre zèle et de votre charité, dans le prêtre que vous aurez formé et qui sera, pour la gloire de Dieu et le bien des âmes, le continuateur de votre ministère et l'héritier de vos vertus (1). "

Puissent ces touchantes paroles susciter en tous les curés de France le noble souci de chercher des candidats pour le sacerdoce et de se faire ainsi les pourvoyeurs zélés, inlassables, de nos Séminaires. Ils se rappelleront le mot si exact de Mgr Bougaud : "Un prêtre qui prépare des enfants pour les Petits Séminaires est dix fois prêtre ", et cet autre non moins exact du Cardinal Bourret : "Un prêtre qui n'a pas le souci d'assurer, pour sa part et dans la mesure où il le peut, la perpétuité du sacerdoce, n'est pas un bon prêtre. "

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(1) Recrutement sacerdotal, 1902, p. 250.

 

 

ARTICLE IV

LES PARENTS CHRÉTIENS ET TOUS LES CATHOLIQUES.

 

338. — La famille est la source première des vocations. Si le Petit Séminaire est le berceau des vocations, la fa- mille est comme le sein maternel où elles éclosent ; c'est là que le prêtre recruteur va les cueillir pour les déposer, rejetons délicats et tendres, dans leur milieu naturel : le Séminaire.

Si donc l'on constate aujourd'hui une réelle diminution de candidats au sacerdoce, si les Grands et Petits Séminaires voient leurs vides s'élargir de plus en plus, la cause première de cette calamité publique, c'est la stérilité de la famille chrétienne.

Nous parlons de stérilité sacerdotale, bien que celle-ci soit, hélas ! en bien des cas, la conséquence fatale d'une autre, de celle qu'on peut appeler la stérilité humaine !

Le fleuve majestueux du sacerdoce, comme le flot des générations humaines, prend sa source dans la famille. Tout ralentissement dans le débit normal de cette source produit une diminution proportionnelle dans le contingent régulier des candidats du sanctuaire...!

339. — Devoir des parents chrétiens. Etablissons tout d'abord le devoir qui incombe aux parents chrétiens de fournir des recrues aux Séminaires.

Ils doivent en fournir puisque eux seuls ont qualité pour le faire. Le sacerdoce catholique, voué à la chasteté par des serments augustes qui sont sa sauvegarde et sa gloire, s'est interdit de se perpétuer par la succession de la chair et du sang. D'autre part, l'Eglise, pour maintenir intact le prestige de ses ministres, se refuse, en règle générale, à prendre ses lévites parmi les enfants issus d'unions illégitimes. C'est donc aux seuls enfants, nés de parents chrétiens, que Dieu viendra offrir, par les moyens extérieurs et intérieurs dont il dispose, l'honneur de la vocation et des fonctions sacerdotales. Dieu sème un peu partout des aptitudes au sacerdoce, des idonéités, ce que nous avons appelé des vocations en puissance ; c'est un devoir pour les parents chrétiens de ne pas empêcher, mais au contraire de favoriser la bonne venue de ces précieux germes .

340. — Ils sont personnellement intéressés à l'œuvre du recrutement. Ils y sont d'ailleurs personnellement intéressés. Car, enfin, en tant que chrétiens, ils ont besoin d'entretenir en eux la vie surnaturelle ; ils ont besoin du culte et des sacrements établis par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Pas de culte et de sacrements sans prêtres. Pas de prêtres, si les familles ne consacrent pas de leurs enfants au sacerdoce.

" Vous voulez que je vous donne des curés, disait avec un juste courroux le Cardinal Bourret aux paroisses qui ne fournissaient pas d'élèves pour le Séminaire ; mais où les prendrai-je, moi, si vous ne me donnez pas de vos enfants pour en faire des prêtres ?"

" Pendant mes tournées pastorales, raconte un autre évêque, que de fois les autorités municipales se sont adressées à Nous, Nous disant : " Monseigneur, nous demandons un prêtre ! " J'avoue que les premières demandes me troublaient. Mais plus tard, fatigué d'entendre répéter la même supplique, je leur disais : " Mais que faites-vous, vous, pour avoir des prêtres ? Si la Normandie veut avoir des prêtres, que la Normandie donne des sujets (1). "

Parole très juste. Que dirait-on, en effet, d'un pays où se pratiquerait la stérilité volontaire et qui se plaindrait ensuite de n'avoir pas une armée assez nombreuse pour défendre ses frontières menacées ! Tout aussi déraisonnables sont les familles chrétiennes, où l'on s'apitoye sur les vides qui se font dans le clergé paroissial, mais qui ne se soucient nullement de les combler en choisissant quelqu'un de leur fils pour en faire un, prêtre.

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(1) Mgr d'Evreux, Recrutement sacerdotal, 1901, p. 131.

 

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341. — Etendue du devoir des parents. a) Ne pas contrarier les vocations : faute grave. Jusqu'où s'étend le devoir des parents en cette matière? Premièrement, ils sont tenus de ne pas contrarier ceux de leurs enfants qui manifestent le désir d'être prêtres. Ceci est le minimum strictement nécessaire sous peine de faute grave.

" Que faut-il penser, demande le catéchisme de Toulouse, des parents, qui empêchent leur enfants d'entrer dans l'état ecclésiastique, quand Dieu les y appelle ?

Les parents qui empêchent leurs enfants d'entrer dans l'état ecclésiastique, quand Dieu les y appelle, commettent un grand péché (1). "

Il s'agit évidemment de ceux qui par principe, par obstination voulue et calculée interdiraient absolument le sacerdoce à leur enfant.

S'il désire être prêtre, si de par ailleurs il possède les aptitudes voulues, et surtout si son désir est favorisé et ses aptitudes reconnues par le curé de la paroisse, les parents commettraient certainement une faute grave en se plaçant au travers de cette vocation en puissance, même sous le vain prétexte de la mettre à l'épreuve (2). Plus grande encore serait leur faute, s'ils retiraient du Petit Séminaire un enfant qu'ils y ont laissé entrer et que ses maîtres veulent garder. Leur faute atteindrait le plus haut degré de gravité en ces matières, s'ils allaient jusqu'à détourner de sa vocation leur fils qui a déjà reçu les premiers Ordres et à qui les ministres légitimes de l'Eglise sont disposés à conférer les Ordres supérieurs. Dans ce dernier cas, ils commettent vraiment le crime de briser une vocation sacerdotale.

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(1) Cité dans le Recrutement sacerdotal, 1901, p. 347.

(2) " La grande erreur de notre temps est que la vocation ecclésiastique au lieu d'être encouragée et préconisée doit être de prime abord contredite et combattue. " Mgr Pie cité dans " Recrutem. sacerdotal" 1902, p. 315. Voir plus bas N° 360-364.

 

342.— b) Deviner les désirs de l'enfant et l'amener à s'ouvrir. Mais les parents chrétiens ont-ils rempli tout leur de- voir envers le sacerdoce catholique, quand ils se bornent à ne pas mettre obstacle aux désirs formels de leurs enfants ?

Manifestement non : relativement rares sont les enfants qui spontanément déclarent vouloir être prêtres ; ils éprouvent, au sujet de leur précieux secret, une sorte de honte pudique, et souvent ils redoutent à tort ou à raison de rencontrer opposition de la part de leur père ou de leur mère. Ceux-ci doivent donc deviner l'enfant et l'encourager à parler, surtout si le pasteur de la paroisse leur a dit ou insinué" qu'ils pouvaient s'attendre à découvrir en lui un élu du Seigneur.

L'enfant, trop timide pour faire de lui-même les premières ouvertures, sera plus courageux pour répondre aux avances de ses parents. Ici tout dépend de la manière de s'y prendre et c'est plus naturellement à la tendresse maternelle qu'il appartiendra d'ouvrir d'une main délicate et douce l'âme qui n'ose révéler le secret de son désir.

343. — c) Eveiller chez leurs enfants le désir du sacerdoce. Allons plus loin et disons : les parents ne doivent même pas se contenter de découvrir en leurs enfants un désir du sacerdoce que d'autres y auraient fait naître ou que Dieu peut-être aurait lui-même inspiré.

Ils doivent être des éveilleurs de désir et, en ce sens, des éveilleurs de vocation.

344. — Fausses idées à écarter. Ici l'on se heurte, nous ne l'ignorons pas, à des idées préconçues et fausses, au sujet de la vocation, à ces idées que nous avons si énergiquement combattues dans toute la première partie de cet ouvrage. Il y en a qui considèrent la vocation comme directement déposé2 par Dieu dans l'âme. La conséquence est qu'il faut donc, par respect même pour l'action de Dieu, laisser cette vocation germer et se manifester toute seule, par le travail spontané de la grâce. On trouve l'écho de cet état d'esprit dans une lettre, d'ailleurs fort touchante, publiée sous ce titre : " Confidences d'une mère chrétienne (1)." Il y a donc des mères qui, si elles s'appliquaient à suggérer à leur fils le désir du sacerdoce, croiraient commettre une sorte de sacrilège ; elles s'accuseraient de substituer leur action à celle de Dieu, et de vouloir semer de leurs propres mains une vocation qui est d'origine céleste. Tout autres sont les vrais principes.

345. — Quelques témoignages autorisés. Dans un rapport présenté au Congrès eucharistique d'Angoulême, sur ce sujet " Le recrutement du clergé à l'heure actuelle " le R. P. Delbrel, qui a fait de la question du recrutement sacerdotal son œuvre de prédilection, s'exprimait en ces termes :

" Il y a surtout, parents chrétiens, une certaine orientation à imprimer aux aspirations de vos fils, à leurs rêves et à leurs préoccupations d'avenir. Voici ce qu'en dit un Père de l'Eglise, saint Gaudence (2) : " Les parents, sans doute, ne peuvent commander à leurs enfants la chasteté parfaite : on sait qu'elle doit être volontaire.

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(1) "Recrutement sacerdotal" 1901, p. 2.01 et 1902, p. 309.

(2) Serm. VIII. De Evangelii lectione primus.

 

Mais ils peuvent diriger leur volonté vers ce qu'il y a de meilleur, ils doivent les avertir, les encourager dans ce sens, ils doivent faire leur possible pour offrir à Dieu en la personne de ces êtres nés de leur sang, des ministres de son autel, ou pour les faire entrer dans la sainte et chaste phalange des vierges (1)."

" Et le docte Thomassin s'appuyant sur l'autorité du même saint Gaudence déclare que si les parents ne peuvent pas user de contrainte pour engager leurs fils à la cléricature, ils doivent les y convier, les y exhorter, les former et les élever pour cela autant qu'il est en leur pouvoir. Si c'est un crime de les y forcer, c'est une action méritoire de les y porter, autant que leur inclination paraît y avoir du penchant ; c'est même alors un devoir de la part des parents. "

Enfin le grave cardinal Perraud fait entendre cet avertissement solennel : " Il serait tout à fait à souhaiter que lorsque les parents chrétiens ont fait connaître à leurs enfants les diverses carrières humaines entre lesquelles ils .seront appelés à faire un choix, ils voulussent bien leur parler aussi de temps en temps avec un respect inspiré par l'esprit de foi de la sainte carrière du sacerdoce, et de ces Séminaires où s'apprennent les vertus et la science du prêtre, comme dans les écoles spéciales on apprend la science de l'ingénieur, du magistrat ou du marin (2). "

346. — Triple devoir des parents. Le devoir des parents en manière de vocation paraît donc se résumer en ces trois propositions :

1° Ne pas mettre obstacle au désir spontané de leurs enfants d'embrasser l'état ecclésiastique.

2° Provoquer la manifestation de ce désir et le favoriser.

3° S'appliquer prudemment et sagement à éveiller en eux ce désir.

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(1) P. DELBREL. "Recrutement sacerdotal" 1904, p. 275.

(2) Cardinal PEHHAUD, cité dans " Recrutement sacerdotal " 1901, pag. 49.

 

347. — Devoir plus spécial de la mère chrétienne. Tel est le triple devoir des parents, devoir du père et de la mère, mais nous tenons à ajouter -.devoir plus spécial de la mère chrétienne.

Sur ce point le lecteur nous saura gré de mettre sous ses yeux une page de grande allure où la profondeur de la pensée s'allie très heureusement à la noblesse de l'expression.

" Je n'ignore pas que le père et la mère sont établis solidairement par la nature et la Providence à côté de l'enfant pour guider ses pas dans la vie et pour le conseiller de leur expérience et de leur sagesse dans l'orientation de son avenir. Si pourtant vous y regardez de plus près, vous remarquerez que le rôle du père et celui de la mère sont, à cet égard, analogues sans être identiques, pour la raison bien simple que le caractère du père n'est pas celui de la mère, et que si l'un et l'autre poursuivent d'un égal amour l'intérêt de l'enfant, l'un ne représente pas aux yeux de ce dernier les mêmes choses que l'autre et n'exerce pas sur lui la même influence. L'autorité du père s'impose surtout à l'esprit de l'enfant, l'autorité de la mère s'impose surtout à son cœur. Il voit dans l'un la raison qui éclaire, et dans l'autre la raison qui persuade et subjugue. Le père est naturellement plus consulté, plus écouté et plus obéi, dans toute détermination qui relève d'un calcul d'intérêt ; la mère comprend mieux les résolutions désintéressées, qui ne procèdent d'aucun calcul, mais des aspirations d'un cœur généreux. Et parce qu'elle les comprend mieux, elle est plus autorisée à les seconder, à les soutenir, ou même à les faire éclore, quand elles ont quelque peine à prendre conscience d'elles-mêmes. "

" Que si ces résolutions sont de celles qui s'autorisent de la religion et la servent, la mère est encore plus qualifiée : non pas seulement parce que la religion est affaire de sentiment autant que de raison et de foi, mais encore parce que la mère aussi est généralement plus religieuse que le père et que sa piété, au lieu de s'alimenter seulement dans la foi, s'alimente encore aux sources intarissables du cœur pénétré par la croyance et vivifié par l'amour divin. Elle a dès lors une acuité de regard plus pénétrante pour discerner dans l'âme de son enfant les mouvements que la grâce de Dieu détermine, les influences secrètes qu'elle y développe, les religieuses aspirations qu'elle y provoque, l'orientation qu'elle y commence et l'édifice surnaturel qu'elle y esquisse à traits larges et fuyants d'abord, mais qui, peu à peu, se précisent, se rapprochent et se groupent. En même temps qu'elle a plus de pénétration pour deviner et suivre l'exécution de cette œuvre intime, elle a plus de penchant à la seconder et plus d'intérêt personnel à la sauvegarder. La femme chrétienne — l'autre ne me regarde pas — quand elle a eu cette joie et cet honneur de s'épancher en ses fils et ses filles qu'elle aime beaucoup plus qu'elle ne s'aime elle-même, n'a rien qui lui tienne plus à cœur que de les conserver dans toute la beauté de leur âme innocente et dans toute la grâce que met autour de leur front la parure virginale. Le mot de Blanche de Castille, s'il n'a été prononcé qu'une fois, est réellement pensé par une multitude de mères chrétiennes, jalouses à un point extrême de la beauté morale de leurs enfants. Dès lors tout ce qui tend à l'affermir ou à la préserver doit avoir leurs préférences; et voilà comment et pour quelles raisons entre autres, il arrive si souvent que les mères chrétiennes souhaitent pour leurs fils une vocation qui les leur garde tels qu'elles ont le souhait de les toujours voir et connaître. "

" Les pères sont beaucoup moins accessibles à de pareilles considérations et beaucoup moins touchés par de pareils calculs. Aussi les excitateurs par excellence de la vocation ecclésiastique et des vocations religieuses, dans les foyers chrétiens, sont-ils ces mères excellentes, femmes de piété autant que de raison, assez patientes pour savoir attendre, assez prudentes pour ne rien précipiter, assez pleines de loi en la Providence pour comprendre que tout doive venir d'elles en pareille matière, et par suite toujours inclinées à solliciter par la prière son concours et ses lumineuses aspirations. L'histoire des Saints, si on pouvait la dresser, l'histoire des vocations ecclésiastiques sont pleines d'exemples qui confirmeraient toutes ces assertions. M. l'abbé Bougaud cite plusieurs exemples dont quelques-uns sont particulièrement concluants. Tel est celui du Père Varin, qui travailla si activement sous la Restauration à la renaissance des pratiques chrétiennes et fonda avec quelques-uns de ses frères en religion, la congrégation des Dames du Sacré-Cœur. " Il s'était fait soldat, malgré sa mère qui lui avait dit : Tu dois être prêtre. Souvent elle faisait agenouiller sa petite famille en disant : Mettons-nous à genoux et disons un Pater et un Ave pour Joseph ; il n'est pas dans sa vocation et il se perdra dans l'état militaire. " Que de fois cette divination surnaturelle du sentiment maternel a révélé à des enfants ce qu'ils ignoraient eux-mêmes d'eux-mêmes et les a mis en présence d'une vocation qui les sollicitait et à laquelle ils ne songeaient pas. C'est aux environs de la première communion, quelquefois avant, plus souvent après. A travers la turbulence de son âge et l'inconstance de son caractère, un enfant témoigne d'aspirations religieuses : il a des élans de piété sincère où passe tout entière son âme droite et ingénue. Les pratiques du culte l'intéressent et les choses de la religion le captivent. Un signe, perceptible seulement au regard de qui le suit de près, est dans ses yeux et sur son front. Déjà l'inquiétude l'agite et l'ennui le tourmente. Quand en famille il est question de son avenir, rien ne lui plaît : il sait ce qui le laisse indifférent, il ne sait pas ce qui l'attire. Déjà à treize ans, il est méditatif et rêveur ; il sent peser sur son âme l'inexorable ennui. Vienne sa mère, femme de piété et de cœur ; que, soutenue par les conseils d'En-Haut sollicités par la prière, elle prenne son enfant dans ses bras, qu'elle lui montre des horizons que ses yeux d'enfant avaient quelque peine à discerner ou à reconnaître ; qu'elle lui parle simplement, comme son cœur lui dit de parler, sans aucune intention de le conquérir, mais seulement pour l'inviter à fixer un but qu'il ne voyait pas de façon assez précise et, souvent, c'est une vocation que la chaleur du cœur maternel aurait fait éclore... "

" N'est-ce pas la loi générale d'ailleurs que l'enfant s'élance des bras de ceux qui l'ont mis en ce monde pour remplir sa vie et pour accomplir sa destinée, comme le divin Sauveur sortit de Nazareth et de l'école de Marie pour aller à la conquête du monde pour la diffusion de l'Evangile ? Et cette loi n'est-elle pas confirmée dans le cours des âges par les exemples les plus autorisés ? Que d'ouvriers évangéliques, quand, faisant retour sur leur passé, ils recherchaient les origines de leur vocation, ont pu répondre par ce mot bien connu d'un apôtre : Dieu et ma mère ! ce qui permet de répéter ici, en lui donnant le sens précis que notre sujet réclame et détermine, et de citer le mot bien connu de Lamartine :

Heureux l'homme à qui Dieu donne une sainte mère !

" La sainte mère a des grâces spéciales pour comprendre son enfant et pour deviner les intentions divines dans l'âme de son enfant (1). "

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(1) LAHARGOU : Les Mères et le sacerdoce dans " La Femme Contemporaine ". Octobre 1906.

 

348. — La conquête de l'enfant par la mère. On aura remarqué un peu plus haut les mots que nous avons soulignés sons aucune intention de les conquérir ".

Appuyé sur les principes que nous défendons dans tout cet ouvrage, nous allons plus loin et nous disons que la mère chrétienne, quand elle a découvert en son enfant de vraies aptitudes pour le sacerdoce, surtout quand son jugement est confirmé par celui de son pasteur, doit s'efforcer de conquérir son enfant à la carrière sacerdotale.

Elle y aura d'autant plus de mérite qu'aujourd'hui cette carrière est pleine de péril. Mais c'est là précisément de quoi provoquer l'héroïsme d'une mère vraiment chrétienne, totalement chrétienne.

" Mères chrétiennes, s'écrie un vaillant Evêque, vous êtes, à juste titre, soucieuses de l'avenir de vos enfants ; pour eux vous faites des rêves de gloire. Savez-vous rien d'aussi grand, d'aussi désirable que le sacerdoce? Jadis les mères demandaient à Dieu de se choisir, de prendre à son service un de leurs enfants; elles voulaient donner au Christ plus que leurs généreuses aumônes, un peu de leur sang. "

" Sans doute les temps sont rudes ; le Christ est bafoué, son Eglise est violemment assaillie ; le sacerdoce, aux yeux de beaucoup est avili ; les prêtres sont traités sans honneur, voués à la pauvreté ; humainement parlant, tout semble perdu pendant que s'accomplit une dévastation générale. "

" Mais c'est alors que tressaillent les âmes généreuses ! Alors la mère, saintement ambitieuse pour son fils, l'enrôle dans la plus noble cause qui fût, et en fait le chevalier du Christ et de son Eglise. "

" Dieu qui n'a besoin du secours de personne sourit à la vaillance de cette mère qui a la pieuse audace de lui offrir son enfant pour en faire un Christ, une victime (1)."

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(1) Mgr GIEURE, évêque de Bayonne. Lettre sur la réorganisation des Séminaires.

 

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349. — Les parents ont-ils fait leur devoir? Si tel est le devoir des parents en matière de vocation, et si tel est plus spécialement le devoir de la mère chrétienne, pouvons-nous affirmer que ce devoir a été rempli ? L'histoire de nos Séminaires depuis la Révolution donne la réponse et cette réponse n'est rien moins que satisfaisante.

350. — La noblesse. Une triste constatation qui se présente à première vue, c'est la stérilité sacerdotale en laquelle s'obstinent, depuis plus d'un siècle, les familles des classes dirigeantes, de la haute aristocratie comme de la bourgeoisie fortunée.

Sous l'ancien régime elles peuplaient les évêchés, elles: couraient après les gros bénéfices et les riches prébendes ; le clergé était le premier corps de l'Etat, le plus considéré, le mieux nanti ; la noblesse s'y installait comme dans son propre domaine, où elle trouvait un glorieux débouché pour ses cadets en mal de grandeur.

Maintenant le sacerdoce ne se présente plus à ces fils de famille avec le cortège d'avantages naturels qui le rendait autrefois si enviable ; et ils se sont retirés.

Tout a été dit sur cette désertion lamentable et nous ne pouvons rien ajouter à l'autorité des reproches sévères que l'on va entendre.

" Tant de familles illustrées dans le passé par les emplois ecclésiastiques autant que par les charges de l'Etat seront accusées d'ingratitude par la. postérité, qui ne verra plus figurer leurs noms sur les catalogues du sanctuaire à partir du jour où le Sanctuaire a été dépouillé de ses trésors (1). "

" Ne sommes-nous pas en droit de reprocher leur peu

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(1) Cardinal PIE dans Recrutement Sacerd. 1902, p. 67.

 

de générosité et de foi aux grandes familles qui envahissaient autrefois le sanctuaire, quand l'Eglise avait à leur donner d'abondants trésors et qui fuient loin d'elle aujourd'hui, parce que, pauvre et dépouillée, elle n'a plus guère à leur offrir que les biens célestes (1) ?"

351. — La bourgeoisie. La bourgeoisie fortunée ne s'est pas montrée moins réfractaire aux vocations sacerdotales que la noblesse elle-même.

,Au point de vue des avantages matériels, fa condition d'un curé de campagne, même considérée sous le régime du concordat, est bien précaire ; elle ne dit plus rien à celui qui n'estime les carrières humaines que par ce qu'elles rapportent.

La bourgeoisie française a donc aussi failli à son devoir envers le sanctuaire.

Et nous osons à peine reproduire les objurgations que le cardinal Bourret, avec sa rudesse toute apostolique, adressait aux calomnies du monde sur les excessives richesses du clergé. " Ah ! dites-vous, ils sont riches, ils sont opulents les prêtres de Jésus-Christ ! Il faut bien que ce ne soit pas vrai, car vous ne dirigez plus les goûts de vos enfants de ce côté-là, et pourtant Dieu sait si vous aimez l'argent, le bien-être et tout ce qui le donne, Oui, quand nous avons été riches, vous avez assiégé le sanctuaire, vous y êtes entrés à temps et à contretemps. Vous ne venez plus aujourd'hui : c'est que vous avez remarqué qu'il n'y avait pas grand chose à glaner, et que l'Eglise, sous ce rapport, était une source tarie (2). "

352. — La classe ouvrière. Il serait d'ailleurs injuste de mettre en un relief trop accusé l'opposition entre la. conduite des classes riches et celle des classes laborieuses durant la période concordataire; car, dans cette carrière sacerdotale où les fils de famille voyaient une déchéance, les fils de la plèbe ou de l'atelier y découvraient un surcroît de bien-être et de considération. Et nous constatons que la situation matérielle des prêtres diminuant de plus en plus, a leur tour les fils de la plèbe ou de l'atelier se montrent de moins en moins attirés par le sacerdoce, à mesure que le sacerdoce se rapproche davantage de la pauvreté.

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(1) Mgr DUPANLOUP, ibid. 1901, p. 313.

(2) Œuvres choisies, Instructions pastorales, p. 259.

 

D'où nous serions tenté de conclure, à la manière de saint Paul : " Juifs et Grecs, riches et pauvres, rejetons de l'aristocratie, de la bourgeoisie ou du prolétariat, tous ont péché contre la vocation sacerdotale, tous ont déserté le sanctuaire appauvri. " Omnes declinaverunt, simul inutiles facti sunt (1)."

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353. — Appel à l'œuvre du recrutement. Il est plus que temps de revenir au devoir. Et, si les prêtres actuellement en exercice veulent que la race sacerdotale ne s'éteigne pas avec eux, il n'est que temps pour eux de rappeler hautement aux familles chrétiennes leurs obligations au sujet de la vocation de leurs enfants.

Ils s'adresseront plus spécialement aux mères qui sont, nous l'avons dit, plus capables d'entrer dans ces vues élevées et plus puissantes pour les réaliser. Citons encore notre docte écrivain :

354. — Œuvre des mères. " La femme chrétienne contemporaine commence à sentir, à travers les secousses qui agitent le monde, les périls qui menacent toute l'organisation sociale. Elle comprend qu'il ne faut pas laisser aux hommes seulement la tâche et l'honneur de les conjurer, qu'elle est intéressée elle-même à la paix et au bon ordre pour ne pas réclamer sa part des labeurs qui doivent les maintenir là où ils ont été détruits... "

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(1) Rom. III, 9, 12 — " Causati enim sumus Judœos et Grœcos omnes sub peccato esse... omnes declinaverunt, simul inutiles facti sunt. "

 

" Or, je ne connais pas pour la femme de nos jours une façon d'intervenir plus efficace et plus appropriée à son caractère et à ses aptitudes dans l'œuvre commune à tous de la défense sociale, que de travailler autour d'elle, dans son foyer d'abord, hors du foyer ensuite, à tout ce qui peut ou entretenir ou augmenter l'influence du ministère sacerdotal. Si elle rêve d'apostolat, elle n'en trouvera pas à sa portée ni un meilleur, ni un plus étendu que celui qu'elle aura exercé, encore que sous une forme indirecte, par le ministère des prêtres qu'elle aura contribué à faire entrer dans l'Eglise. Si elle rêve de charité, elle n'en saurait faire de plus belle. Si elle est impatiente d'apporter son concours à la défense de la société en péril, elle n'en pourra pas fournir de plus précieux..." " Ceux qui rêvent de destructions sociales nous donnent d'ailleurs des indications précieuses. Ils savent que le meilleur moyen de renverser l'édifice, c'est d'en détruire les fondements. Ce n'est pas pour une autre raison qu'ils se sont attaqués à la religion et au sacerdoce qui fait corps avec elle. Les femmes chrétiennes qui veulent donc travailler à la conservation de cet édifice social n'ont pas à s'inspirer d'un autre principe... "

" Le mieux que la femme chrétienne puisse et doive faire, c'est de se montrer attentive à éveiller autour d'elle les vocations qui s'ignorent ,et, avant d'engager ses fils dans une autre voie, de s'être bien assurée d'abord, que ce n'est pas a rencontre d'une destinée plus haute et d'un dessein providentiel et plus grave et plus impérieux. 11 n'y a pas d'œuvre qui mérite davantage d'intéresser sa foi, de parler à son esprit et de plaire à son cœur. Une mère ne meurt jamais toute entière quand elle laisse après elle des enfants qu'elle a nourris du meilleur de son cœur et du meilleur de son sang. Mais elle

ne peut jamais rêver une postérité plus étendue ni plus belle que celle que lui assure l'enfant qu'elle a formé pour le sacerdoce et qu'elle a voué ainsi au service de l'humanité et au culte de Dieu (1). "

355. — Œuvre de tous les fidèles. Il n'y a pas que les parents chrétiens et en particulier les mères, qui aient le devoir de s'employer au recrutement du clergé.

Tous les fidèles y étant intéressés, tous les fidèles sont obligés d'y contribuer chacun selon ses moyens.

356. — Subside de la prière. Tout chrétien doit prier le Maître des moissons sacrées d'envoyer des ouvriers en grand nombre, de triompher de l'obstination des uns et de l'aveuglement des autres, de suggérer aux parents trop attachés aux intérêts de la terre, des idées de sacrifice et d'immolation, d'inspirer aux enfants le désir des fonctions sacerdotales, d'affermir dans leur vocation les lévites déjà en marche vers l'autel.

357. — La conquête des vocations. Après la prière, la recherche, l'éveil, la conquête des vocations chez les enfants sur qui l'on est en mesure d'exercer quelque influence ; grandes sœurs auprès de leurs jeunes frères ; oncles et tantes auprès de leurs neveux ; professeurs (2) auprès de leurs élèves, etc., etc.

On connaît sous ce rapport le zèle de Madame du Bourg, en religion Mère Marie de Jésus, fondatrice de la Congrégation des Sœurs du Sauveur et de la Sainte Vierge. Elle eut le don de susciter plusieurs vocations sacerdotales et religieuses parmi la nombreuse tribu de ses neveux et cousins ; " Mes enfants, leur disait-elle après leur avoir éloquemment vanté le sacerdoce je ne puis être prêtre, je ne puis être missionnaire. Qui de vous me remplacera ?" — Plus d'une fois une petite voix répondit : " Moi ! ma tante. " — C'est à elle" à ses prières, à ses exhortations pressantes que nous devons notamment la vocation du Père Amable du Bourg, ancien supérieur du Grand Séminaire d'Aire-sur-l'Adour, théologien de Mgr Epivent au concile du Vatican.

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(1) Femme Contemp. Loc. cit.

(2) Nous nous abstenons très volontairement de traiter la question délicate du recrutement des vocations dans les collèges ecclésiastiques. D'ailleurs tout a été dit par le P. Delbrel.

 

358. — Subside de l'aumône. Après la prière et la recherche des vocations, l'aumône par de généreux subsides aux Séminaires et aux séminaristes. A côté de chaque âme qui s'ouvre à la vocation, une bourse devrait s'ouvrir pour alimenter cette recrue nouvelle du sanctuaire. On commence à le comprendre et l'Œuvre des Vocations établie en plusieurs diocèses, donne des résultats fort consolants.

Là où cette .grande œuvre n'est pas encore fondée, on n'est pas pour cela dispensé de pourvoir à l'entretien des Séminaires. Tout catholique tant soit peu fortuné devrait se faire une obligation d'y contribuer, ne serait-ce qu'en mesurant moins parcimonieusement son offrande aux aumônes pascales. Tout catholique a besoin du prêtre, ne seraitrce qu'au lit de mort ; tout catholique dirait, au moins, avec ce pauvre Verlaine :

Puisse un prêtre être là, Jésus, quand je mou rai !

Que tout catholique donc aide l'Eglise à faire des prêtres 1 H y a des fidèles qui usent davantage du prêtre ; ceux-là doivent plus que les autres aider au recrutement du sacerdoce. Les communautés religieuses, les pensionnats, etc. veulent des aumôniers, il leur faut même des prêtres de choix... Pourquoi donc communautés et pensionnats ne considéreraient-ils pas comme un devoir de contribuer à l'entretien des Séminaires, où on leur prépare ces prêtres de choix qui seront leurs aumôniers ?...

Souvent les plus beaux traits de générosité se trouvent parmi les pauvres.

Un curé du diocèse d'Amiens désespérait de pouvoir envoyer au Séminaire un enfant dont la vocation était du meilleur aloi, mais la famille se trouvait absolument dénuée de ressources. Une ancienne servante vint le trouver et lui dit : " Je vis à grand-peine, grâce à mes petites économies ; mais pour faire de cet enfant un prêtre, je vais me remettre au service ( 1 ). "

Une autre vieille servante restait en service pour pouvoir payer la pension d'un séminariste. Elle disait : " Moi aussi, j'aurai mon prêtre ! "

Toute femme chrétienne, a dit un évêque, devrait prendre sur son budget, pour faire au moins un prêtre dans sa vie. Quand son petit protégé est devenu prêtre, elle peut dire en toute vérité : " C'est mon fils ! S'il prêche l'Evangile, c'est moi qui prêche ; s'il baptise, s'il absout, s'il consacre, s'il prie, c'est encore moi avec lui, ou moi par lui. "

 

 

ARTICLE V

LES APPELANTS AUXILIAIRES ET LA VRAIE MÉTHODE DE RECRUTEMENT.

 

359. — Deux méthodes de recrutement. Il suffit de vouloir ouvrir les yeux pour constater qu'il existe deux méthodes de recrutement bien tranchées, issues logiquement de deux conceptions divergentes au sujet de la vocation sacerdotale.

Sans doute ici et là, sous l'impulsion du bon sens catholique, tels et tels partisans de la vocation formellement intérieure se sont conduits comme s'ils n'y croyaient plus.

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(1) Recrutement Sacerdotal, 1902, p. 111.

 

Ici et là, ils ont su prendre des initiatives hardies ; ils n'ont pas craint de proposer le sacerdoce à des enfants et à des jeunes gens, qui n'y songeaient même pas. Ils se sont appliqués à dissiper leurs perplexités, à triompher de leurs résistances, les pressant vivement d'entrer au Séminaire et de se consacrer au service des autels. Et ils ont fait tout cela sans nul souci de savoir, au préalable, si leurs élus à eux étaient du nombre des choisis de Dieu, inscrits au livre de vie du sacerdoce éternel. Ces candidats leur paraissaient susceptibles de recevoir la formation sacerdotale, que donnent les Séminaires ; ils n'en demandaient pas davantage. Il n'en est pas moins vrai que la méthode d'expectative est la seule qui se trouve en harmonie logique avec les principes de la vocation formellement intérieure, et que, depuis de longues années, elle commande la pratique courante.

360. — Méthode qui découle de la théorie de la vocation formellement intérieure. Or, il est facile de deviner et de constater à quelles fâcheuses conséquences elle doit fatalement aboutir.

Considérons, en effet, l'état d'esprit des parents, des curés, des confesseurs, de tous les recruteurs de prêtres, quand ils sont imbus d'une doctrine comme celle-ci : la vocation sacerdotale proprement dite est une entité mystérieuse, déposée par Dieu dans certaines âmes secrètement choisies, et qui les marque d'un signe particulier ; entité qu'il faut savoir découvrir et discerner, sur la nature de laquelle il est très facile de se méprendre et dont il est beaucoup plus sûr d'attendre la manifestation spontanée ; en voulant l'éveiller nous risquerions d'inspirer à une âme, par des suggestions naturelles, des attraits, des impulsions, qui ne doivent venir que de Dieu.

C'est Dieu qui appelle, donc laissons-le appeler ; laissons-le incliner par lui-même vers le sacerdoce les âmes qu'il y convie. Lui seul connaît celles qu'il a choisies ; lui seul nous les fera connaître à des signes qui ne trompent pas. Travaillées par des appels intérieurs de plus en plus pressants, elles ne pourront cacher longtemps le secret des sollicitations divines ; tôt ou tard, vaincues par la grâce, elles viendront d'elles-mêmes révéler les attraits, dont elles sont favorisées.

361. — Ligne de conduite qu'elle trace : 1° A la mère chrétienne. Imaginons une mère chrétienne qui se conduirait d'après ces principes. De tout son cœur elle désire que tel ou tel de ses enfants se consacre au service des autels ; mais persuadée que c'est Dieu, lui seul, qui appelle ceux qui doivent gravir la Sainte Montagne, elle se fera un scrupule de parler de vocation à sa petite famille. Tout au plus osera-t-elle, dans le secret de son âme, prier le Souverain Prêtre de daigner choisir un de ses fils, mais la moindre parole, adressée dans ce but à ses enfants, lui paraîtrait comme un empiétement sacrilège sur le droit exclusif de Dieu.

Si, par bonheur, l'un d'eux manifeste spontanément la volonté d'être prêtre, alors même la pieuse mère se prendra à trembler ; sa joie sera mélangée d'angoisse, car elle se dira : " Qui sait si les aspirations de mon enfant viennent de Dieu en ligne directe et légitime ? Qui sait .s'il n'a pas subi des influences extérieures ? Qui sait s'il ne se fait pas prêtre parce qu'il a deviné mes secrets désirs, que je n'ai pas su complètement cacher ? Je vais donc le .mettre à l'épreuve et contrarier de toutes manières sa vocation : si elle est de Dieu, elle résistera à tout ; si elle tombe, ce sera le signe qu'elle n'était pas de bon aloi.

362. 2° Au curé recruteur. Supposons maintenant un curé qui se guide par ces mêmes principes : il n'osera jamais parler, ou à peine, de la vocation sacerdotale aux enfants de son catéchisme. S'il en parle, il aura soin de ne j'as faire du sacerdoce une peinture attrayante ; il se croira même obligé d'en mettre en trop vive lumière les côtés difficiles ou déplaisants. Bien loin d'engager les petits à se faire prêtre, si l'un d'eux lui révèle des désirs de vocation, il aura l'air de n'en pas tenir compte ; il le mettra à l'épreuve et l'éconduira par trois fois, afin de constater si c'est bien Dieu qui parle à ce jeune Samuel (1). C'est avec une vraie terreur que certains curés entendent des aveux de vocation ; ils voudraient, de peur de se tromper, n'avoir jamais à traiter cette question de l'appel divin ! Leur crainte est bien naturelle si, en effet, ils doivent, avant d'envoyer un enfant au Séminaire, deviner qu'il est véritablement appelé de Dieu.

363. — Cette pratique est malheureusement trop répandue. Et si l'on nous soupçonne de déconsidérer injustement la théorie adverse en lui attribuant à plaisir des conséquences outrées, qu'on nous permette de signaler ces lignes suggestives :

" Des âmes trop délicates allèrent trop loin et se demandèrent si des parents chrétiens pouvaient légitimement, même dans des intentions pures et surnaturelles, même avec discrétion et sans manquer au respect dû à la liberté de l'enfant et à l'action de la grâce, diriger les aspirations d'un jeune chrétien du côté de la vie ecclésiastique ou religieuse. Et aujourd'hui encore on trouve des mères, d'ailleurs fort pieuses, et même, dans les collèges ecclésiastiques, des confesseurs et des directeurs de jeunes âmes qui déclarent : " Si l'enfant pense de lui-même, à se faire prêtre ou religieux, pas de difficulté. Mais je ne lui suggérerai jamais cette idée. Il faut qu'elle vienne de lui (2). "

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(1) Voir plus haut N° 341 : Note (2).

(2) Recrutement Sacerdotal, 1902, p. 309.

 

364. — Comment l'on prétend s'assurer que la vocation vient de Dieu. Qu'on remarque les mots - que nous avons soulignés ; ils sont caractéristiques. Pour s'assurer que la vocation vient de Dieu, on ne trouve rien de mieux que de tendre autour de l'enfant une sorte de cordon sanitaire, qui écarte de lui toute influence humaine. Si, malgré cette absence de toute suggestion extérieure qui l'orienterait vers le sacerdoce, l'enfant vient à dire de lui-même : "Je veux être prêtre !" alors, mais alors seulement, on reconnaît en lui une vocation vraiment divine !

Pauvre raisonnement ! Psychologie rudimentaire ! On ne remarque pas que la suppression de toute influence extérieure autour de l'enfant est une chimère irréalisable. Il n'a pu s'écrier : " Je veux être prêtre ! " que parce qu'il a vu des prêtres dont l'abord lui a plu. Il veut devenir comme l'un d'eux, souvent pour des motifs très enfantins ; et ce qu'on prend pour une vocation spontanément, et, donc, divinement éclose, n'est souvent que le caprice d'un jour ou le fruit d'une connaissance très imparfaite, sinon tout à fait dénaturée, de ce qu'est le prêtre catholique. Ah ! qu'il eût mieux valu lui présenter le sacerdoce dans sa vraie et sévère beauté !

365. — Conséquences funestes pour le recrutement dans le passé. Mais les préjugés sur la vocation intérieure, directement déposée par Dieu dans les âmes, aboutissent presque fatalement à ces méthodes de recrutement, erronées et d'ailleurs non moins funestes.

366. — 1° Admission des médiocres. Oui, funestes ! car sous prétexte que la vocation se révèle surtout par les attraits, on a dirigé vers les Séminaires une première foule qui aurait dû rester dehors, celle des médiocrités pieuses, dont on a dit fort bien : " Chez ceux-là, bien vite l'ange tombe et la bête reste ! "

367. — 2° Intrusion des orgueilleux. Funestes, ces méthodes de recrutement ! parce que, à leur faveur, une seconde foule s'est poussée vers les Séminaires et les saints autels : celle des candidats présomptueux, enflés d'eux-mêmes, qui, forts d'une vocation vivement sen lie, ont négligé de devenir humbles, de se. plier à l'obéissance et de se perfectionner en vue du sacerdoce. Puisqu'ils étaient appelés de Dieu, cela suffisait ; ils n'avaient pas à se donner trop de peine : les grâces de la vocation leur demeuraient assurées !

368. — 3° Angoisses des bons candidats. Pendant ce temps, d'autres élèves entrés au Séminaire avec l'intention très droite et très ferme de se faire prêtres, mais sans vifs attraits, gémissaient en silence et se demandaient avec angoisse s'ils étaient vraiment élus de Dieu. Ils avaient beau s'interroger, s'écouter vivre, ils n'entendaient pas ces pressants appels intérieurs dont parlent à l'envi tant de traités sur la vocation. Et plus d'un s'en est allé, découragé, emportant le regret de ce sacerdoce, qu'il ne se croyait pas destiné à gravir (1).

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(1) Si plusieurs de cette catégorie sont arrivés quand même au sacerdoce, les angoisses sur la vérité de leur vocation les y ont suivis ; tel ce bon prêtre, directeur d'une florissante œuvre de jeunesse, qui nous écrivait naguère :

" Je sais bien que le " moi " est haïssable, pourtant il faut que je vous dise que je ne serais pas prêtre maintenant si le bon curé qui m'a fait faire ma première communion n'avait pas eu sur la vocation les mêmes idées que vous.

A treize ans, je n'avais qu'une idée : suivre la carrière de l'enseignement comme mon père.

Et, par un concours de circonstances providentielles opposées à mon goût, j'ai été amené à l'école cléricale du..., où j'ai fait toutes mes études secondaires.

Que de fois, depuis que je suis prêtre, j'ai réfléchi sur les conditions peu favorables de ma première initiation à la vie de séminariste. Comment, me disais-je, a-t-on pu me diriger vers le sacerdoce, alors que mes goûts me portaient ailleurs ? Si je trouvais un enfant ne présentant pas plus de garantie que j'en offrais à treize ans, jamais je ne songerais à lui pour le sacerdoce !

Votre livre vient modifier profondément cette manière de voir qui était une conséquence des notions reçues au Séminaire sur la vocation.

Evidemment je n'étais pas dans le vrai. Merci mille fois de m'avoir éclairé. "

 

369. — 4° Exclusion des meilleurs. Funestes encore, ces méthodes de recrutement ! parce qu'elles ont écarté, du sanctuaire une multitude d'enfants très intelligents, très pieux, de caractère bien trempé, à qui personne n'a osé parler du sacerdoce, parce qu'on attendait que ça vienne d'eux ! Délicatement orientés vers le Séminaire, ils y seraient allés docilement ; et le Séminaire, travaillant sur ce minerai de choix, en aurait tiré de For très pur, des prêtres de première valeur. On les a laissés de côté et, de ce chef, l'Eglise a été dépouillée d'une partie de son prestige et privée de plus d'une conquête.

370. — 5° Exclusion des fils de haute naissance. Funestes enfin, ces méthodes de recrutement ! car, en vertu de ce principe que les attraits pour le sacerdoce doivent être fortement éprouvés pour accuser leur origine surnaturelle, des parents, même bons chrétiens, surtout dans les hautes classes de la société, ont cru qu'il était de leur devoir de contrarier la vocation spontanée de leurs enfants. Ils leur ont donc infligé toutes sortes de refus ou de réponses dilatoires ; ils ont exigé d'eux qu'ils fréquentent les réunions les plus mondaines et affrontent les périls les plus délicats : " S'ils en sortent vainqueurs, disait-on, leur vocation sera solide et vraie ! " Plusieurs sont allés jusqu'à imposer à leurs fils, comme condition préalable d'entrée au Séminaire, de longues années d'éducation dans les lycées de l'Etat et dans les hautes écoles de l'Université, où les dangers de perversion religieuse se multiplient sous les pas de la jeunesse.

Le résultat de ces épreuves a été, ordinairement, ce qu'on pouvait en attendre et ce qu'avaient espéré parfois des parents indignes : la plupart des jeunes gens ont vu s'évanouir leurs attraits d'enfance qui, pour être de bon aloi, n'étaient pas cependant infrangibles, attraits qu'on aurait dû protéger et non exposer à un naufrage à peu près certain.

371. — La logique du système. Mais il fallait éprouver la vocation divine!!! Et l'on avait bien quelque peu raison, en partant des principes pernicieux que nous voudrions pouvoir anéantir. Oui, on avait quelque peu raison ! car, si la vocation vraie est la prédestination d'une âme au sacerdoce, la volonté du Tout-Puissant doit finir par prévaloir contre tous les obstacles qu'on lui oppose. Lui en susciter de nombreux, c'est même la meilleure tactique pour lui arracher son secret et la forcer à révéler, clair comme le jour, son existence ! Donc, en toute hypothèse, une vocation d'attrait qu'on parvient à faire sombrer n'a jamais été une vocation authentique !

A dresser des barrières contre les vocations, on ne court donc pas le risque de briser celles qui sont vraiment divines, et l'on a le grand avantage de voir s'évanouir celles qui ne le sont pas !

Voilà où peut mener la logique du système !

372. — Conséquences funestes pour l'avenir. Funeste dans le passé, cette doctrine de la vocation-attrait le serait plus encore dans l'avenir, aussi longtemps du moins que durera la situation difficile du clergé.

En effet, ils sont rares, avouons-le, les enfants qui se sentent attirés par la perspective d'une vie de sacrifices et d'humiliations, les enfants qui s'écrieraient volontiers :

" C'est maintenant le bon moment de se faire prêtre, car il y aura à souffrir ! "

Quand le sacerdoce est entouré d'honneurs et de richesses — l'expérience le prouve — les vocations d'attrait sont plus nombreuses, trop nombreuses !... et cela seul devrait suffire à les frapper de suspicion.

Depuis quelques années, leur nombre a diminué. Il a diminué précisément à mesure que le clergé s'appauvrissait et se voyait dépouillé des considérations officielles ! — autre constatation significative...

Si l'on continue à faire fond sur le sable mouvant des attraits, le recrutement du clergé, en France surtout, ira se réduisant de plus en plus.

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373. — Réaction nécessaire. Il est temps de réagir au nom des vrais principes. Ceux-ci favorisent merveilleusement un recrutement nombreux, surtout un recrutement d'élite.

374. — Recrutement nombreux. Si les enfants spontanément attirés vers un sacerdoce humilié et appauvri se font de plus en plus rares, par contre ils sont encore fort nombreux les petits chrétiens intelligents, pieux, de caractère franc et de volonté bien trempée. Or, ces enfants, voici que les précieuses années du catéchisme viennent les mettre, les uns après les autres, sous la main et l'heureuse influence du prêtre (1). Si le prêtre veut, il pourra faire parmi eux une ample moisson de candidatures lévitiques. Oui ! si le prêtre veut, et s'il est bien persuadé qu'il n'a pas à chercher des signes plus ou moins évidents d'appel divin, mais que c'est lui, représentant de Dieu, qui commence à choisir, à appeler, à convier au sacerdoce les enfants dont il a constaté les bonnes dispositions. Assez souvent, les enfants choisis se laisseront conquérir à l'idée d'entrer au Séminaire ; du moins, on en gagnera toujours beaucoup plus qu'autrefois avec la théorie de l'expectative qui, dans certaines paroisses très chrétiennes, a donné à peine un prêtre en vingt ans !

Nous mettons en fait que, dans les paroisses de piété moyenne, un curé animé des vrais principes réussirait à recruter pour le Séminaire au moins un enfant sur cinquante qui passent sur les bancs du catéchisme. Or, si tous les curés obtenaient ce résultat, comme nos Séminaires seraient vite repeuplés !

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(1) Le mémorable Décret "Quam singulari Christus amore " (8 août 1910) est arrivé à point pour aider les prêtres recruteurs. Comme il sera facile de proposer le sacerdoce à des âmes que Jésus, le Souverain Prêtre, viendra visiter souvent par la Communion sacramentelle ! Il préparera lui-même à l'acceptation de l'appel divin les enfants d'élite auxquels nous le proposerons. Ce sera une des conséquences — et non des moins heureuses — de ce décret " libérateur " !

 

375. — Recrutement d'élite. Et c'est une élite qui y serait envoyée. Puisque Dieu ne choisit que par l'Eglise, puisqu'il n'y a pas de vocation intérieure proprement dite, puisque nous n'avons à tenir compte, pour guider notre choix, que de l'excellence des dispositions — de l'idonéité — nous ne considérerons jamais plus comme des appelés de Dieu ces enfants médiocres d'intelligence, ou déjà plus ou moins tarés, qui se présentent spontanément, en disant qu'ils voudraient être prêtres. Nous nous ferons un devoir de les écarter, comme, au conseil de révision, les recruteurs de l'armée laissent de côté les hommes mal bâtis...

Nous sommes les arbitres de l'appel et nous n'avons d'autre règle que le choix des meilleurs. Or, les meilleurs ne sont pas les plus entraînés vers le sacerdoce ; loin de là !

Les meilleurs sont les plus humbles, les plus défiants d'eux-mêmes, ceux qui hésitent le plus en face des gloires du sacerdoce, dont ils s'estiment indignes. Les meilleurs sont les esprits ouverts et droits, en qui les sciences ecclésiastiques pénétreront comme la lumière à travers le pur cristal. Les meilleurs sont les plus pieux, les plus francs, les plus soumis, les plus constants dans le bien. Les meilleurs, enfin, sont les enfants issus de parents chrétiens, nourris sur les genoux d'une mère chrétienne, vraiment chrétienne, vraiment mère... Ceux-là, n'attendons pas qu'ils viennent à nous ; portons-leur avec autorité l'appei divin " vocatio ".

376. — Vraie méthode de recrutement : La méthode d'autorité. Car nous devons nous pénétrer, à tout jamais, de ce principe que la vocation sacerdotale n'est pas une vocation consistant en de simples aptitudes, comme les vocations profanes ordinaires ; ni en des aptitudes et des attraits comme les vocations profanes plus caractérisées ; mais qu'elle est une vocation d'appel, d'appel divin, d'appel divin extérieur, d'appel clairement formulé par les ministres de l'Eglise, à qui Jésus-Christ a dit : " Qui vos audit, me audit ".

Ce n'est donc pas de lui-même que l'enfant " idoneus " se portera vers le sacerdoce ; il attendra d'y être convié (1). Or, c'est nous, prêtres, ambassadeurs de Dieu et ministres de l'Eglise, qui irons lui transmettre les premières invitations de Dieu et des premiers Pasteurs de l'Eglise. Sans doute notre appel à nous, simples prêtres, ne sera qu'une invitation éloignée, n'ayant pas le caractère officiel de l'appel épiscopal ; il sera cependant une préparation, un écho anticipé de celui-ci.

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(1) " Ad sacerdotii munus sua sponte accedat nemo, sed ut vocetur exspectet. " (S. Cyril Alex. De adoratione et cultu in spiritu et veritate lib. XI).

 

377. — Avantages de la méthode d'autorité. Les vocations commencées de cette manière sont les meilleures, parce qu'elles passent par la voie très sûre de l'autorité préposée par Dieu à la perpétuité du Sacerdece. Tandis que dans la recherche des vocations intérieures, on ne marche qu'à tâtons et en tremblant, ici l'on va en pleine lumière.

La méthode d'autorité que nous préconisons pour obtenir un recrutement nombreux et d'élite nous semble, tout à la fois :

facile,

sûre,

vraiment divine.

378. — La méthode d'autorité est facile. Quand un enfant réunit les conditions de vocabilité, le prêtre doit s'appliquer à le conquérir pour le sacerdoce. Il y déploiera toutes les industries naturelles et surnaturelles d'un zèle prudent et inlassable. Sa méthode d'autorité sera cordiale, pénétrée de douceur et d'amabilité.

A quoi veut-il aboutir ? Il veut faire entendre à cet enfant de choix la grande invitation du Souverain Prêtre : " Amice, ascende superius ! mon ami, monte plus haut ! "

" Amice ! Ami ! " C'est donc, en premier lieu, la confiance,, le cœur de l'enfant qu'il s'étudiera à gagner. Avant de lui dire sur le ton de l'autorité : " Ascende ! monte ! élève tes regards et dirige tes pas vers le sacerdoce ", il se fera son ami, il se fera aimer comme prêtre, ou mieux, il fera aimer le prêtre en lui.

379. — Elle procède avec suavité. Un curé qui, tout en restant toujours digne et grand, saura montrer en sa personne combien le prêtre est heureux et aimable, deviendra un recruteur de première force. Il y en a de ceux-là qui ont su découvrir et gagner d'excellents candidats, en des paroisses irréligieuses, sacerdotalement stériles depuis des demi-siècles où l'on ne croyait plus possible l'éclosion de cette fleur si précieuse et si rare : une vocation !

Attiré par cette amabilité, vrai rayonnement de celle de Jésus-Christ lui-même, l'enfant s'attachera au prêtre dont il deviendra l'ami, amice ! Et le jour où le prêtre adressera enfin à son petit ami la parole décisive : " ascende superius ! monte plus haut ! viens avec moi pour être comme moi ", il trouvera une âme toute prête à monter.

En cette matière, les exemples de Jésus-Christ, modèle éternel du prêtre recruteur, sont souverainement instructifs. Qu'on médite à ce point de vue le premier chapitre de saint Jean (v. 35-41 )" Venite et videte... Venerunt et viderunt... Veni, sequere me. "

La méthode d'autorité aimable est celle qui obtient les résultats les plus faciles, les plus heureux et les plus constants.

380.— A quoi elle borne son effort. Afin de faciliter plus encore le rôle du prêtre recruteur, ajoutons qu'il n'a pas à attendre, pour parler à un enfant, de le voir complètement gagné, ni surtout de constater en lui une pureté d'intention absolue au sujet du sacerdoce. Epurer et raffermir les intentions enfantines est l'œuvre spéciale des Séminaires. Ceux-ci ont mission et grâces d'état pour ce double travail.

Toute l'ambition du prêtre recruteur se bornera donc à ceci : faire entrer au Séminaire des enfants de tout premier choix. Pour le reste, il s'en remettra aux Directeurs attitrés des aspirants au sacerdoce (1).

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(1) " Souvent le rôle du curé ou du vicaire se bornera à faire accepter à l'enfant d'entrer au séminaire. L'intention n'a pas besoin, au 'début, d'être plus droite, pourvu que l'on puisse prévoir que le bon naturel, les qualités généreuses de l'enfant finiront par l'emporter lorsqu'il sera plus apte à comprendre la beauté de l'idéal sacerdotal et que les circonstances ambiantes développeront en lui les germes d'une bonne nature.

Faites entrer au séminaire des sujets d'élite, le reste nous incombe à nous, professeurs et confesseurs du Petit Séminaire, qui préparerons les voies à la vocation : nous vous demandons de nous accorder cette confiance. " (LEURET, dans le Trait d'Union 1910, p. 127).

 

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381. — La méthode d'autorité est sûre. Elle n'envoie dans les Séminaires que des sujets de haute valeur, des sujets d'élite.

Quelquefois l'intention de se faire prêtre ne sera chez eux que très vague ; mais, qu'on veuille bien le remarquer encore, l'intention ferme, si elle est désirable dès le début, n'est nullement nécessaire, pas plus que la science suffisante " scientia sufficiens " et la vertu éprouvée " probitas vitæ ".

382. — Conditions qu'elle exige. En d'autres termes, les conditions de vocabilité, requises chez l'enfant pour qu'on puisse prudemment l'envoyer au Séminaire, sont loin de réclamer la perfection de celles qui seront exigées plus tard du candidat immédiat aux saints Ordres : les nombreuses années de Séminaire n'ont-elles pas précisément pour but de développer ce qui n'est dans l'enfant qu'en germe lointain ?

En germe lointain, la science sacrée, dans l'enfant intelligent qui apprend facilement et avec goût le catéchisme.

En germe lointain, les vertus sacerdotales dans l'enfant pieux et d'un bon naturel.

Et cela suffit.

Il suffira donc aussi que l'intention droite se trouve en germe lointain dans l'enfant qui se montre tout disposé à suivre docilement la volonté du prêtre et du bon Dieu.

383. — Candidats qu'elle préfère. L'humble docilité de l'enfant envers ceux qui le conduisent nous semble être, en effet, le meilleur terrain de culture pour l'intention droite et même les attraits. Si les présomptueux, les hardis, doivent inspirer peu de confiance, par contre, les timides, les humbles, les obéissants, donneront tout espoir. En eux, la formation des Séminaires produira son maximum d'effet ; ce sont ceux-là qui, après les hésitations des premiers jours, s'ancrent le plus fortement dans leur vocation ; ce sont ceux-là dont le caractère et la trempe de volonté donnent tout lieu d'espérer qu'ils concevront le dessein irrévocable de se consacrer pour toujours au ministère des autels (1).

384. — Comment elle agit envers les séminaristes avancés qui veulent renoncer au sacerdoce. Cette méthode de recrutement est aussi très sûre, pour une raison encore plus grave. La voici : Dans les cas relativement rares, où les espérances que les débutants avaient fait concevoir se trouveraient frustrées ; quand le séminariste, devenu plus âgé, recule et veut se retirer, on s'interdira de peser sur sa volonté, au nom d'une prétendue vocation divine, inscrite dans son âme, qui lierait sa conscience et lui rendrait impossible une sortie légitime et honorable. Non ! Si, une fois bien éclairé sur le sacerdoce et ses obligations ; si, après s'être longtemps et sérieusement examiné, il ne veut décidément pas être prêtre ; si, même après avoir déclaré qu'il le voulait, et eut-il par surcroît avoué des attraits puissants, il vient à changer de dessein et se propose formellement d'orienter autrement sa vie, les Directeurs de Séminaire, le confesseur et son curé, pourront, au nom des vrais principes, l'engager à prolonger quelque temps, encore l'expérience ; ils essayeront de le retenir par des considérations tirées de la prudence et de la piété. Quant à mettre en avant des motifs de terreur, tirés d'une vocation qui le couvrirait comme d'une tunique de Nessus et l'obligerait irrévocablement, cela jamais !

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(1) Quorum indoles et voluntas spem afferat eos ecclesiasticis ministeriis perpetuo inservituros. (Trid. sess. 23, cap. 18.)

 

Jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire jusqu'au moment de l'acceptation officielle de la carrière sacerdotale, entre les mains de l'Evêque, au jour du sous-diaconat, la vocation demeure simplement proposée du dehors et nullement imposée- :

"Hactenus liberi estis, licetque vobis pro arbitrio (1) ad sæcularia vota transire.., Si in sancto proposito perseverare placet, in nomme Domini huc accedite ! "

385. — Méthode de vraie liberté. Notre doctrine, logiquement appliquée dans son esprit de vraie liberté, risquerait donc, bien moins que l'autre, d'engager dans le sanctuaire des candidats qui ne voudraient pas sincèrement être prêtres et de bans prêtres (2). Au début, il est vrai, elle dirige vers le sacerdoce tout candidat idoneus, sans tenir compte de ses irrésolutions et de ses craintes. En cela elle agit sagement, parce que l'enfant n'ayant, le plus souvent, qu'une connaissance fort imparfaite du sacerdoce, ses sentiments provenant d'une telle connaissance ne sont guère à considérer, lorsqu'ils engendrent des attraits, ni quand ils provoquent certaines répulsions.

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(1) Qu'on remarque ce mot licetque vobis pro arbitrio. Sur ce point c'est toute une mentalité, créée par la vocation-attrait, qu'il faudrait réformer.

Quitter le Séminaire serait une honte, une tare indélébile. Celui qui est parti ne peut se défaire de sa vocation ; il la traîne partout, comme un forçat son boulet !

(2) A des élèves de Grand Séminaire qui avaient prévenu de leur changement d'idée leur curé — celui qui les avait dirigés vers le sacerdoce — nous savons que plus d'un de ces curés, partisan de la vocation interne et convaincu d'avoir envoyé au Séminaire un appelé de Dieu, a répondu par des paroles d'anathème et des sentences de damnation éternelle ; il voyait là un crime : celui de ne pas persévérer dans sa vocation /... Combien de candidats peut-être, par crainte de semblables menaces et de: peur de se damner, se sont faits prêtres à contre-cœur ! Autre fruit d'une doctrine fausse et funeste !

(Cf. supra N° 245.251).

 

Dans ce moment, il faut se prononcer, d'autorité, à sa place et lui dire, au nom de Dieu, qu'il est fait pour le sacerdoce.

Mais à mesure que l'adolescent devient plus capable de choisir "par lui-même en toute connaissance de cause, la méthode d'autorité se change progressivement en méthode de liberté, jusqu'au jour même du sous-diaconat où le jeune homme, dans la plénitude de sa vingt et unième année, est convié par l'Evêque à choisir librement le sacerdoce ou à rentrer dans le siècle :

Hactenus liberi estis, licetque vobis pro arbitrio ad sæcularia vota transite.

386. — Les deux méthodes et la liberté. On le voit, les deux méthodes procèdent inversement. La première commence par laisser l'enfant à sa spontanéité ; mais quand il s'est librement prononcé, quand il a .manifesté des attraits de vocation, elle s'empare de lui ; au nom de la vocation constatée, elle le presse de persévérer ; à mesure qu'il approche davantage du sacerdoce, elle lui fait une obligation plus étroite d'y entrer ; retourner en arrière, quand on est appelé, serait un crime, un gage de damnation éternelle.

La seconde envoie d'autorité au Séminaire l'enfant qui donne des espérances ; elle l'y maintient quelque temps pour qu'il se rende bien compte ; mais, à mesure que l'adolescent se développe et devient plus maître de lui-même, elle l'abandonne peu à peu à son libre vouloir et lui déclare nettement : " Tu n'es pas obligé d'être prêtre, tu ne le seras que si tu le veux bien. "

Jusqu'au seuil même du sous-diaconat, elle lui tient le même langage : " Tu peux te retirer sans crime, il n'y va nullement de ton salut. Si tu te fais prêtre, il faut que ce soit de ta pleine et entière volonté. "

On le voit : la première méthode asservit progressivement le jeune homme après avoir laissé libre l'enfant ; la seconde pèse sur la volonté de l'enfant, mais libère progressivement l'adolescent et le jeune homme.

Nous le demandons avec confiance : de ces deux méthodes, quelle est celle qui offre le plus de garanties pour la persévérance des prêtres ?

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387. — La méthode d'autorité est divine. Enfin, cette méthode de recrutement par voie d'autorité est la méthode vraiment divine.

On a vu, plus haut, que saint Cyrille d'Alexandrie, dans son commentaire du mot de l'Apôtre : " Nec quisquam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo ", prononce ces graves paroles : " Que personne ne se mette en avant de lui-même pour le sacerdoce, mais qu'il attende d'être appelé, comme Aaron fut appelé par Moïse au nom de Dieu. "

En cette affaire éminemment divine, le premier pas doit être fait, non par l'aspirant, mais par les représentants officiels de Dieu sur la terre, par ceux-là mêmes qui sont chargés de dispenser le sacerdoce.

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388. — Faux point de départ d'une vocation. Or, la théorie que nous combattons incline à considérer comme vocations vraies et seules normales celles qui émanent de l'initiative spontanée de l'enfant. Sans doute, elle essaye de mettre ces premières démarches sur le compte de mouvements intérieurs et surnaturels, afin de sauvegarder cette vérité que l'appel doit venir de Dieu. Mais de l'origine de ces mouvements spontanés, quelle preuve sérieuse et convaincante pourra-t-on régulièrement alléguer, et qui osera s'en porter garant ? La psychologie de l'enfant est plus compliquée qu'on ne pense, et, à prêter des motifs surnaturels à ses velléités de vocation, on risque le plus souvent de s'égarer (1).

Aussi comprenons-nous fort bien ceux qui soumettent ces attraits enfantins, surtout chez des sujets médiocres, à un examen très sévère.

Nous comprenons mieux encore ceux qui n'en tiennent aucun compte pour commencer une vocation.

389. — Vrai point de départ. Plus tard, des attraits éclairés et de bon aloi seront suscités, chez les aspirants plus avancés, grâce à la formation des Séminaires,

Mais il faut se refuser à considérer les attraits d'un sujet, spontanément manifestés, comme le point de départ légitime et normal d'une vocation. Les premiers pas ne doivent pas être faits par l'enfant ; son vrai rôle est d'attendre que les dispensateurs du sacerdoce viennent à lui, le prennent par la main et l'invitent à monter. C'est bien le sens des paroles de saint Cyrille : " Ad sacerdotii munus sua sponte accedat nemo, sed ut vocetur exspectet. "

On le voit, notre méthode est aussi une méthode d'expectative, mais en renversant les rôles. Pour les partisans de la vocation intérieure, ce sont les représentants de l'Eglise qui doivent attendre que l'enfant vienne de lui-même à eux, sous la pression d'attraits, qualifiés divins.

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(1) Saint Thomas déclare qu'on ne peut guère savoir, sans une révélation particulière, si les actes humains procèdent de la grâce ou de la nature, des vertus infuses divines ou d'inclinations humaines. Combien ce discernement est-il plus difficile pour l'enfant ! Cf. N° 105.

 

Pour nous, c'est l'enfant qui doit attendre d'être invité à venir : " sed ut vocetur exspectet (1). "

390. — Point de départ authentiquement divin. Et cette invitation est divine, sans le moindre doute possible, car elle émane des représentants officiels de Dieu. Si personne ne peut se porter garant de la divinité d'attraits subjectifs, tout chrétien doit proclamer la divinité de l'autorité de l'Eglise.

Ici qu'on nous permette de citer ces graves paroles : " Ceux qui ont de la peine à admettre la vérité traditionnelle (telle que nous l'avons exposée), laissent trop voir dans leurs discussions sur ce point, que leur conception de l'Eglise est très imparfaite. Ils la voient surtout dans les éléments humains qui la représentent, mais ils paraissent ne pas se souvenir que Jésus-Christ l'a envoyée, comme son Père l'avait envoyé lui-même, c'est-à-dire apparemment avec la même autorité. Ils craignent éperdument que l'Eglise, en appelant ou en n'appelant pas, ne se mette en contradiction avec les desseins de Dieu sur une âme ; comme si le divin Maître qui est avec elle jusqu'à la consommation des siècles, n'avait point dit : "Tout ce que vous lierez sur la terre, sera lié au ciel, et ce que vous délierez sur la terre, le sera également au ciel. "

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(1) C'est bien ainsi que les choses se passent pour la vocation épiscopale.

Le Souverain Pontife n'a pas, croyons-nous, l'habitude d'attendre que les candidats à l'épiscopat se présentent d'eux-mêmes, pas plus qu'il n'a coutume de choisir ceux qui se sentent le plus d'attraits. C'est lui qui prend l'initiative et les appelle au nom de Dieu.

Il y a même tout à penser que le Pape ne serait pas fort ému si un prêtre, sous la pression de vifs attraits, se présentait spontanément pour solliciter l'appel épiscopal...

Or, saint Liguori dit fort bien que pour l'épiscopat plus encore que pour la prêtrise, il faut être appelé de Dieu. Le lecteur confluera.

 

L'Eglise c'est Jésus-Christ vivant et continuant son œuvre sur la terre (1).

391. — Non vos me elegistis. L'Eglise, c'est Jésus-Christ continué ; et c'est donc elle maintenant qui doit pouvoir dire à ses prêtres, comme Jésus-Christ à ses Apôtres : " Non vos me elegistis, sed ego elegi vos " ; ce n'est pas vous qui êtes venus à moi, ce n'est pas vous qui avez choisi spontanément mon sacerdoce, c'est moi qui vous ai prévenus et c'est moi qui vous ai choisis, moi qui vous ai appelés, moi qui vous ai adressé le " veni, sequere me ", dont j'ai reçu la dispensation.

Que les candidats restent donc à leur place et qu'ils attendent. Ce n'est pas à eux de déclarer qu'ils se sentent appelés ; c'est à Dieu de désigner parmi les candidats possibles ses vrais élus : Ostende quem elegeris (2).

392. — Ostende quem elegeris. - Joseph et Mathias furent reconnus aptes, l'un et l'autre, à l'apostolat ; peut-être même s'y sentaient-ils également portés. Mais parce qu'il ne fallait qu'un seul Apôtre, Joseph le Juste fut laissé de côté... C'est Jésus lui-même qui choisit, parce qu'il s'était réservé personnellement le choix des douze colonnes de l'Eglise ; voilà pourquoi il fut invité à désigner lui-même celui qu'il appelait. Or, Jésus formula son choix par un signe, extérieur aux candidats, par un signe pris en dehors de l'élu ; il daigna, en effet, se plier à la coutume juive du "dederunt sortes" et fit tomber le sort sur Mathias " et cecidit sors super Mathiam, et an-numeratus est cum undecim apostolis ".

Pour les successeurs des Apôtres — évêques, prêtres, — c'est encore Jésus qui choisit et par un moyen extérieur,

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(1) P. EXUPÈRE DE PRATS DE MOLLO cité dans : Deux conceptions divergentes de la vocation sacerdotale, p. 70.

(2) Act. i, 24.

 

pris en dehors des candidats : il choisit par la voix de l'Eglise, dépositaire et continuatrice de son sacerdoce et de ses pouvoirs. Telle est l'économie nouvelle pratiquée aussitôt par les Apôtres et ainsi promulguée par saint Paul : " Hujus rei gratia reliqui te Cretæ ut... constituas per civitates presbyteres sicut et ego disposui tibi. " (Tit. I. 5.)

393. — Dieu et l'Eglise travaillant de concert. Ainsi Dieu et l'Eglise travaillent de concert ; ils choisissent et appellent les mêmes sujets d'une seule et même voix, comme l'instrument et la cause principale, dont l'action combinée aboutit à la production d'un seul et même effet.

Dans la théorie de la vocation intérieure, il y aura toujours, par la force des choses, des appelés de Dieu qui ne seront pas appelés de l'Eglise, et des appelés de l'Eglise que Dieu n'aura pas appelés ; les deux appels étant séparés comme deux fleuves qui sortent de sources distinctes, ils ne se rencontrent pas nécessairement dans les mêmes sujets.

Dans notre thèse au contraire, il n'y a qu'une source et un seul courant, qui part de Dieu, passe par Jésus-Christ et l'Eglise, pour aboutir enfin aux candidats élus.

394. — Courant de l'appel sacerdotal. Telle est donc la divine économie de l'appel divin. De Dieu, source première de tout sacerdoce, le droit d'appel passe par Jésus-Christ.

De Jésus-Christ, il passe aux chefs de l'Eglise : " sicut misit me Pater et ego mitto vos. "

Mais, à leur tour, les ministres de l'Eglise sont hiérarchisés (1).

Au sommet, l'évêque, dispensateur de l'appel divin. Immédiatement au-dessous de l'évêque, les prêtres qui lui présentent officiellement les candidats, en se portant garants de leur dignité, de leur vocabilité (proxime vocabiles) : c'est à eux, en la personne de l'archidiacre, que s'adresse la question du Pontife : scis illos dignos esse.

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(1) Il ne s'agit ici de hiérarchie que pour un seul acte : l'appel au sacerdoce.

 

En France, ces prêtres sont les Directeurs de Séminaire, délégués aux appels (1) ; leurs actes ne valent que par délégation de l'évêque. .

Au-dessous d'eux, toujours dans la fonction d'appeler, se trouvent les prêtres préposés à la direction des Petits Séminaires ; ils préparent les candidats en vue des appels canoniques, et les dirigent vers les Grands Séminaires, où les préparations sont menées à terme et les appels formulés.

Au-dessous, les pasteurs des paroisses : ils constatent et .améliorent les dispositions éloignées ; ils font les premiers choix et transmettent aux petits chrétiens d'élite la première invitation de Dieu en vue du sacerdoce : l'invitation d'entrer au Petit Séminaire.

Au-dessous des prêtres de paroisse, il y a place pour une large action des chrétiens zélés qui, sous la direction des curés et des évêques, peuvent efficacement travailler à la découverte des candidats et rechercher des subsides matériels pour les élever.

395. — Les parents. Mais dans la désignation des candidats un rôle tout spécial, et divin, est dévolu aux parents chrétiens. Ils exercent dans la famille une véritable autorité divine (2) ; et ils peuvent donc, par délégation divine, orienter vers le sacerdoce les pensées et les aspirations de leurs enfants.

Ils le feront, par devoir, quand le pasteur de la paroisse leur signalera l'un d'eux, qu'il aura jugé plus spécialement doué de dispositions lointaines pour le saint ministère.

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(1) Et nullement le confesseur ou directeur de conscience.

(2) La mère, nous l'avons déjà dit, est toute-puissante, quand elle le veut, sur le cœur de son enfant;

Mais le voudra-t-elle ? Hélas ! que de mères chrétiennes reculent devant ce qu'elles appellent un sacrifice et qu'elles devraient considérer comme le suprême honneur de leur fécondité ! Que de mères fortunées donneront généreusement de leur argent pour envoyer au Séminaire les enfants des autres, mais se refusent absolument à donner leurs propres enfants. Osons le dire, il y en a, dans la bourgeoisie et les hautes classes, qui s'appliquent à étouffer les meilleures dispositions naissantes. Sous prétexte d'éprouver ces malencontreuses vocations, on les voit alors — et ceci est de l'histoire actuelle — organiser des bals d'enfants et puis des matinées, dont le résultat inavoué, parce que inavouable, mais certain, est d'éveiller d'abord, et d'aiguiser, ensuite, les appétits sensuels ; les bonnes dispositions évidemment sombrent, mais la vertu aussi. Il y a là un désordre réel, un manque de logique inexplicable, et une des causes fort tristes de la crise dont nous souffrons.

 

396. — La mère. Elle le fera surtout la mère chrétienne, vraiment chrétienne et totalement mère ; en elle la délicatesse de la piété et des sentiments semble se prêter davantage à ce rôle sacré. C'est elle, en règle générale, qui devrait, sur les indications de son pasteur, parler la première à l'enfant et l'inviter à monter vers le sacerdoce. Et, comme le poète a dît :

Incipe, parve puer, risu cognocere matrem.

on devrait pouvoir ajouter : Enfants, recevez des lèvres de votre mère le premier appel de Dieu au sacerdoce.

La mère chrétienne est le dernier anneau de cette chaîne d'or de la vocation qui part du trône de Dieu et vient aboutir à l'âme de l'enfant.

 

ARTICLE VI

PRINCIPES DE SAINT THOMAS SUR LE RECRUTEMENT

DU CLERGÉ.

 

397. — Deux autorités. La méthode de recrutement que nous venons d'exposer se légitime à la lumière des vrais principes sur la vocation sacerdotale.

Néanmoins, il ne sera peut-être pas inutile de montrer qu'elle peut alléguer en sa faveur les suffrages les plus autorisés. L'autorité de saint Thomas d'Aquin, à laquelle viendra s'adjoindre celle de saint Charles Borromée, suffira, nous l'espérons, à lever les scrupules qui pourraient encore survivre dans les esprits.

398. — Controverse sur le recrutement au moyen âge. Du temps de l'Angélique Docteur, les Ordres religieux se virent en butte aux attaques les plus acerbes. Entre autres critiques, on se prit à blâmer vivement la facilité trop grande qui rendait la vie religieuse trop accessible aux fidèles de tout âge, de toute condition. Les moines n'allaient-ils pas jusqu'à recevoir et même à attirer au cloître les tous jeunes adolescents ! Ne poussaient-ils pas l'imprudence et la cruauté jusqu'à accepter volontiers les petits enfants eux-mêmes, pourvu qu'ils fussent présentés par les parents.

Ces faits soulevèrent une véritable tempête de récriminations. Des libelles circulèrent, qui flétrissaient les manœuvres de recrutement usitées chez les moines. On voulait y voir ce qu'on appellerait aujourd'hui des procédés d'embauchage et d'envoûtement...

399. — Intervention de saint Thomas. Saint Thomas se leva pour venger ses frères. Tous les griefs furent par lui discutés et pulvérisés ; mais ses vues sur les méthodes de recrutement sont pour nous d'un intérêt tout particulier.

A plusieurs reprises, le saint Docteur en traite à fond. Allons droit aux passages principaux.

Voici quelques-unes des questions qu'il se pose :

Quelqu'un doit-il engager les autres à entrer en religion ?

Est-il permis d'obliger par vœu certains fidèles à entrer en religion ?

Est-il expédient de recevoir les enfants en religion ?

Les enfants qui sont à peine formés à la vertu, doivent-ils être reçus en religion ?

Est-il permis d'engager les jeunes gens, même par serment et par vœu, à entrer en religion (1) ?

Les questions posées nous font deviner, du même coup, les méthodes de recrutement en usage chez les Ordres religieux et les censures dont elles étaient l'objet.

400. — Comment saint Thomas justifie les pratiques usitées de son temps. Après quelques réflexions - préliminaires, fort suggestives, saint Thomas établit la doctrine, qui se résume en ces quelques points. Oui, il est permis et même louable d'engager et de solliciter les enfants à entrer en religion — inducere, sollicitari — il est permis, il est louable de les y attirer — ad religionem attrahere — et même de leur faire contracter par serment ou par vœu l'obligation d'y entrer (2). Il divise les enfants en deux catégories : ceux qui n'ont pas encore l'usage de la raison, et ceux qui en jouissent. Les premiers, on ne peut les recevoir en religion malgré les parents, au pouvoir desquels ils demeurent de par le droit naturel jusqu'à l'âge de discrétion.

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(1) Utrum aliquis debeat alios inducere ad religionem intrandam ? IIa IIæ; q. 189, art. 9.

Utrum liceat aliquos voto obligari ad religionis ingressum ? (Ibid ; art. 2).

Utrum pueri sint recipiendi in religione ? (Ibid ; art. 5).

Utrum pueri non exercitati in prcœceptis debeant recipi in religione ?

(Quodlibet. IV, q. xii, art. 23).

Utrum liceat inducere juvenes ad religionem voto vel juramento ?

(Quodlibet III, art. 11).

(2) Sed quod ulterius quœritur, an ante religionis ingressum sint voto vel juramento ad religionem obligandi, manifeste patet quod sic. "

(Quodlibet III, art. 11).

 

Mais, les parents, précisément en vertu du même droit naturel, peuvent donner leurs enfants à un Ordre religieux, aussi bien qu'ils peuvent les donner au Christ par le baptême ; et, dans ce cas, les Ordres religieux ont toute licence de recevoir ces petits oblats.

Quant à ceux qui ont l'usage de la raison, le libre arbitre les met en possession d'eux-mêmes pour tout ce qui regarde le salut de leur âme. Ceux-là, il est donc permis de tes exhorter à entrer en religion, même malgré leurs parents ; tout comme il est permis, s'ils ne sont pas baptisés, de les engager à recevoir le baptême (1).

Cet usage, ajoute saint Thomas est salutaire et fructueux, parce que les habitudes contractées dès l'enfance sont plus enracinées et plus fermes. C'est ce qui a porté les Apôtres à enrôler dans la religion du Christ les enfants en bas âge ; c'est le même motif qui a poussé tes Ordres religieux à admettre à la vie monastique, même les tout petits.

Qui méritera de s'approcher du Christ, si: vous éloignez de lui l'enfance s: pure ? Si ces petits doivent devenir des saints, de quel droit les empêchez-vous d'aller à leur Père ? Et s'ils doivent devenir pécheurs, qu'en savez-vous et de qiaef droit les condamnez-vous avant de les avoir vus coupables ? Ainsi parle saint Jean Chrysostome (2).

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(1) Jam vero, postquam usum rationis habuerint, per liberum arbitrium habent suiipsius potestatem in his quœ spectant ad salutem animœ ; unde invitis parentibus possunt et ad baptismum et ad religionem induci.

De voluntate autem parentum etiam in infantia ad baptismum recipiuntur ex ordinations Apostolorum..., ut in rebus divinis pueri nutriantur, et non habeant aliam vitam nisi divinam contemplationem. Et eadem ratione in infantiœ annis monasteriis pueri a parentibus offeruntur.

(Quodlibet III, art. 11).

(2) Dicit enim Chrysostomus : " Quis meruerit apprapinquare Christo, si repellatur ab eo simplex infantia ? Nam si sancti futuri sunt, quid vetatis filios ad patrem venire ? Si autem peccatores futuri sunt, ut quid sententiam damnationis profertis, antequam culpam videatis? " Quam quidem damnationis sententiam proferunt aliqui, cum dicunt : " Non sunt recipiendi pueri in religionem, quia exibunt, et pejores efficientur.

(Quodlibet IV, art. 23).

 

401. — Les engagements par vœu et par serment. Mais comment saint Thomas va-t-il pouvoir justifier l'usage de presser les adolescents de s'engager, par vœu ou par serment, à embrasser l'état religieux ? Par une raison aussi simple que décisive : " Manifeste patet quod sic ".

De même que la volonté est d'autant plus mauvaise qu'elle est plus obstinée dans le mal, un vouloir est d'autant meilleur qu'il est plus fixé dans le bien. Or, il est bon que les enfants entrent en religion ; il sera donc bien meilleur qu'ils s'obligent par vœu et par serment à y entrer. De là cette parole de David : " J'ai juré et j'ai irrévocablement décidé de garder vos commandements. " De là encore cette maxime de saint Augustin : " Felix necessitas quæ ad meliora compellit. " Heureuse nécessité qui nous plie au meilleur !

402. — Application de ces principes au recrutement sacerdotal. Or, qu'on ne l'oublie pas, faire entrer en religion les enfants, c'était très souvent, au moyen-âge, les mettre sur la voie du sacerdoce. Les principes qu'exposé saint Thomas sont donc applicables au recrutement sacerdotal, tout aussi bien qu'au recrutement des simples religieux.

D'ailleurs le saint Docteur indique lui-même d'une manière très claire cette identité de méthode (1).

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(1) Au surplus, les partisans de la méthode d'expectative doivent en admettre et en admettent la nécessité pour le recrutement à l'état religieux, aussi bien que pour le recrutement au sacerdoce. Et, à leur point de vue, c'est de toute logique. Si Dieu a des vues arrêtées sur nous ; s'il nous a choisis pour un ordre religieux ou pour l'état sacerdotal, c'est à lui de nous le dire par la voix des inspirations ou des attraits. Il n'appartient donc à personne de nous pousser vers une carrière ou vers une autre ; car "quis cognovit sensum Domini ? " — La prudence prescrit donc aux recruteurs d'attendre la manifestation des desseins de Dieu, et non de les devancer, soit qu'il s'agisse du sacerdoce, soit qu'il s'agisse de l'état religieux.

Il n'est pas douteux que saint Thomas ne condamne ces vues.

 

Sans doute, avant d'inviter les candidats à franchir les degrés divers de la cléricature, il faudra attendre qu'ils soient formés à la sainteté autant que le demande chacun des ordres à recevoir (1).

Mais pour les former à la sainteté de l'état sacerdotal, il faut les enlever de très bonne heure à la vie du siècle et leur donner les habitudes de la vie cléricale. Celui qui veut être soldat ne commence point par se faire cardeur de laine ; il s'adonne, le plus tôt possible, aux exercices militaires (2).

403. — Les objections. Tels sont les fermes principes de saint Thomas sur le recrutement à la vie religieuse et au sacerdoce. On aurait mauvaise grâce à dire qu'ils sont d'un autre âge. Ils sont modelés sur la vérité qui est de tous les âges. Si notre âge ne l'entend pas, ce n'est pas la vérité qu'il faut changer pour l'accommoder à nos conceptions obliques ; ce sont nos idées obliques, qui doivent être rectifiées pour s'ajuster au vrai éternel.

Mais, dira-t-on peut-être, saint Thomas aurait-il parlé ainsi, s'il avait envisagé la question sous tous ses aspects, s'il avait pu prévoir toutes nos objections ? Que deviennent dans son système les droits imprescriptibles de la liberté humaine ? Par ces procédés d'embauchage, ne va-t-on pas au-devant de défections éclatantes ? ne risque-t-on pas de compromettre l'honneur du sacerdoce ?

Qu'on se rassure : du temps de saint Thomas, la question du recrutement a été examinée sous toutes ses faces. Les controverses sur ce point étaient ardentes, avons-nous dit ; elles furent poussées à fond. Car, en ce temps où l'esprit humain a jeté un si vif éclat, on n'avait pas coutume de se contenter de vues superficielles.

Dans l'article XI du IIIe livre de ses Mélanges — Quæstiones Quodlibetales — le saint Docteur apporte et résout sept objections. Un peu plus loin, dans l'article xxiii du IVe livre, il va jusqu'à en aligner vingt-trois, de file. Tout ce qu'on a dit, tout ce qu'on peut alléguer de plus spécieux contre la thèse se trouve là.

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(1) lia Use q. 19 art. I ad 3.

(2) Sicut videmns quod illi qui volunt fieri milites, non prius exercitantur in lanificio, sed a pueritia exercentur in militia ; si-militer qui volunt fieri clerici, non prius exercentur in vita laica-li, sed a pueritia instruuntur in vita clérical! : et hoc modo qui volunt religiosi fieri non oportet quod prius exerceantur in vita sœculari etc.

(Quodlibet, loc. cit.)

 

404. — 1re Objection : respect dû à la liberté. - Voici, par exemple, comment est posée et résolue l'objection tirée de certains principes sur la liberté.

" Il est bien plus nécessaire d'embrasser la foi chrétienne que d'entrer en religion. Cependant on ne doit pas amener les hommes à la foi par contrainte, mais seulement par libre volonté. Bien moins encore doit-on se servir du vœu ou du serment pour forcer quelqu'un à embrasser l'état religieux.

Telle est l'objection. "

La solution donnée par saint Thomas est décisive. Il y a, dit-il, deux sortes de nécessités : la nécessité de contrainte, qui rend impossible le mouvement de la volonté libre, et la nécessité morale, qui provient d'une obligation ; or, celle-ci laisse intacte la liberté. Il ne faut jamais user de contrainte proprement dite pour mener les hommes à la foi ou à l'état religieux ; mais se servir pour cela des liens moraux du vœu et du serment est parfaitement licite. C'est de ce genre de nécessité que saint Augustin a dit : heureuse contrainte qui nous oblige au meilleur (1).

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(1) Est autem sciendum quod est duplex necessitas, una quœ excludit voluntatem, scilicet necessitas coactionis ; et alia quœ ex voluntaria obligatione causatur, et voluntatem non excludit ; et hujusmodi est obligatio juramenti vel voti. Unde per coactionem non sunt trahendi homines vel ad fidem vel ad religionem ; sed voto vel juramento ad hoc eos obligare, nihil prohibet ; et de hac necessitate Augustinus dicit : Felix necessitas quæ ad meliora compellit.

(Quodlibet III, art. 11 ad sec.).

 

Quand un zélateur du recrutement des clercs aura jeté les yeux sur un enfant qu'il estime excellent, il lui sera donc permis de déployer autour de cette âme, pour la conquérir au sacerdoce, toutes les industries apostoliques, qu'on a coutume d'utiliser pour conquérir les hommes à la foi. II lui sera permis de faire doucement le siège de cette âme d'enfant, de chercher à gagner sa confiance, de l'exhorter, de l'engager, de la presser, suaviter et fortiter, jusqu'à ce qu'il l'amène,, enfin, à donner son consentement. Arrivé à ce point, il ne s'arrêtera pas encore. De peur qu'on ne lui ravisse sa précieuse conquête, il essayera d'obtenir de l'enfant une promesse ferme, puis une promesse plus solennelle, au besoin sous la forme sacrée du vœu ou du serment. Tous ces moyens, légitimes en eux-mêmes, se justifient encore plus par l'excellence du but poursuivi : felix necessitas quæ ad meliora compellit.

405. — 2e Objection : péril de défection. Mais par ces procédés de pression sur la volonté de l'enfant, ne s'expose-t-on pas à de grands risques ? Ce ressort trop fortement comprimé ne va-t-il pas éclater ? De guerre lasse, l'enfant s'est rendu à vos désirs ; mais pour combien de temps ? Il a cédé à vos instances importunes ; mais persévérera-t-il quand vous ne serez plus là? Ne sortira-t-il pas du séminaire plus vite qu'il n'y est entré ? De là des départs fréquents d'élèves, dont la défection jettera le discrédit sur la maison qui les a reçus, troublera ceux qui restent, et sèmera la défiance parmi les familles les plus chrétiennes, qui ne voudront plus se dessaisir de leurs enfants (1).

A cette nouvelle objection qu'il a prévue — nous n'avons fait, que l'adapter à la question des séminaires — saint Thomas répond en affirmant que, si le recrutement des candidats se fait normalement, les déchets, seront de peu d'importance ; le grand nombre restera. Or, ajoute-t-il, en ces matières, il faut juger, non d'après les exceptions, mais d'après l'ensemble des; cas (2).

Cette réponse de saint Thomas vaut: pour tous les temps ; aujourd'hui comme sa. moyen-âge,- si l'on observe les conditions, d'un bon recrutement, si l'on n'oriente vers le sacerdoce que des enfants- bien doués, du côté de la volonté autant que du côté de l'intelligence, pieux, issus de familles suffisamment saines, le grand nombre ira droit son chemin jusqu'au bout. L'expérience, sur ce point, donnera droit à la théorie, dès qu'on l'aura appliquée sincèrement ; et nous pourrons dire, nous aussi, avec saint Thomas : " Multo enim plures de intrantibus remanent, ut experimento probatur, quam exeant."

Que "si, cependant, la pratique devait amener des déceptions, si le grand nombre restait en arrière, si une minorité seulement persévérait, même une minorité très faible, il ne faudrait pas encore s'en alarmer, ni discréditer, pour autant, la théorie. Depuis plusieurs années, l'autre méthode de recrutement, bien, qu'elle se soit exercée dans un milieu et une situation générale beaucoup plus favorables, n'a pas donné, au point de vue du nombre, des résultats dont elle puisse s'enorgueillir. Nul n'ignore ce que des statistiques précises ont établi : dans la plupart des diocèses, sur cent élèves envoyés dans les Séminaires, une vingtaine seulement parvenaient au sacerdoce, c'est-à-dire un sur cinq. En de rares diocèses, on a réussi à en sauver le quart. Il n'y a pas lieu de penser que la méthode de recrutement par l'initiative persuasive et aimable de l'autorité doive produire des contingents inférieurs ; bien au contraire ! Quoi qu'il en soit, il demeurera toujours à l'avantage de cette dernière méthode que le groupe des persévérants formera un bataillon d'élite, qui rachètera par la valeur ce qui pourra lui manquer du côté du nombre.

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(1) Hoc esse videtur contra honestatem religionis. Adolescentium enim sicut facilis est ingressus ad religionem, ita etiam facilis est egressus. Sed ex hoc religio dehonestari videtur, quod de facili recipiat eos qui de facili exeunt.

(Quodlibet III; obj. IV, art. xi).

(2) In rebus voluntariis, sicut et in naturalibus, non est judicandum facile quod contingit in paucioribus, sed quod contingit ut in pluribus. Quod autem intrantes religionem, exeant, hoc contingit ut in paucioribus : multo enim plures de intrantibus remanent, ut experimento probatur, quam exeant. (Ibid.).

 

406. — Autre objection : les conséquences fâcheuses. Parmi les nombreuses objections alignées par saint Thomas, nous en prenons une dernière qui est encore d'une frappante actualité.

Il faut s'abstenir de faire le bien pour qu'il en arrive du mal : non sunt facienda bona ut veniant mala. Mais de ce bien, à savoir que les adolescents soient poussés vers l'état religieux — ou le sacerdoce — il s'ensuit un grand mal ; car plusieurs jettent le froc, ou la soutane, apostasient, contractent des unions illégitimes et se déshonorent de plusieurs autres manières. Il n'est donc pas expédient d'engager les jeunes gens à entrer en religion (1).

A cette difficulté spécieuse le saint Docteur oppose cette réplique profonde. Faire le bien pour qu'il en arrive du mal, cela est évidemment illicite. Il pécherait donc celui qui pousserait un jeune homme vers le cloître ou le sacerdoce, dans l'espoir de le pousser à l'apostasie.

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(1) Prœterea non sunt facienda bona ut veniant mala. Sed ex isto bono quod juvenes inducantur ad religionem, sequuntur multa mala, quia apostatant, et illegitimas nuptias contrahunt, et multa alia illicita committunt. Ergo non sunt ad religionem advocandi.

(Quodlibet. III, art. xi, obj. v.).

 

Mais qu'il soit défendu de faire le bien pour l'unique raison que de ce bien peut résulter, sans qu'on le veuille, un mal ; cela est insoutenable. Un pareil principe engendrerait fatalement un abstentionnisme pernicieux, qui viendrait à tarir la source de toutes les bonnes actions. Quelle est, en effet, la bonne action qui ne puisse devenir l'occasion de quelque fâcheuse conséquence ? Seuls les méticuleux, les scrupuleux, suivent de pareilles maximes ; c'est de ceux-là qu'il est écrit : " Qui trop observe le vent ne sait pas se résoudre à semer, et, qui s'arrête à interroger les nuages, finit par laisser passer le temps de la moisson. " Pour s'abstenir d'un bien à cause d'un mal qui peut en résulter, il faudrait que ce mal l'emportât de beaucoup sur le bien et qu'il se produisît dans la plupart des cas. Notre-Seigneur n'a pas laissé de choisir douze disciples, bien que l'un d'eux dût devenir un démon ; et les Apôtres ne s'abstinrent pas de choisir sept diacres à cause du seul Nicolas qui se perdit. Moins encore les religieux doivent-ils omettre de sauver du siècle, une multitude de jeunes gens, à cause du petit nombre qui fait défection (1).

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(1) Ad quintum dicendum, quod cum dicitur : non sunt facienda bona ut veniant mala ; si ly ut teneatur causaliter, est omnino verum ; peccaret enim, si quis ea intentione aliquem ad intrandum religionem induceret, ut postmodum apostataret. Si vero ly ut teneatur consecutive, sic ab omnibus bonis esset abstinendum ; quia vix sunt aliqua humana bona ex quibus occasionaliter non possint sequi aliqua mala. Unde dicitur Eccles. xi, 4 : Qui observat ventum non seminat : et qui considerat nubes nunquam metet.

Tunc autem solum aliquod bonum est prœtermittendum propter consequens malum, quando malum, consequens esset multo majus quam bonum, et ut frequentius accideret.

Dominus autem non prœtermisit eligere duodecim discipulos, ex quibus unus erat futurus diabolus ; nec Apostoli prœtermiserunt eligere septem diaconos propter unum Nicolaum, qui ex eis periit. Multo ergo minus religiosi debent praetermittere multorum salutem propter paucos qui apostatare inveniuntur. " (ibid.).

 

407. — Conclusion. Aucune bonne raison ne saurait donc être alléguée en faveur de la méthode d'expectative et contre la méthode de recrutement par initiative prudente, mais hardie. Cette méthode sera employée avec plus de fruit par les diverses autorités sacerdotales qui gravitent autour de l'enfant : l'évêque, Je prêtre, les parents chrétiens, la mère !

Ces autorités procéderont de la manière la plus douce, la plus persuasive, la plus insinuante, en ayant toujours devant les yeux ce principe : l'enfant se donne à qui l'aime.

 

 

ARTICLE VII

PRINCIPES DE SAINT CHARLES BORROMÉE SUB LE RECRUTEMENT DU CLERGÉ.

 

 

408. — Autorité de saint Charles Borromée. La part très active que prit saint Charles Borromée aux décrets de Trente sur la formation des clercs, et, plus spécialement, sur l'institution des Séminaires, le zèle empressé qu'il déploya pour exécuter les prescriptions du Sacré Concile, nous invitent à rechercher de quelle manière le pieux archevêque de Milan pourvoyait au recrutement du clergé et comment " interprétait le décret Cum adolescentium ætas un des prélats de ce temps le mieux placé pour en comprendre la vraie portée et le plus zélé pour en assurer l'exécution (1) ".

409. — Les principes de recrutement. Ses historiens nous disent avec quelle activité il s'employa au recrutement des élèves du sanctuaire, de quels soins assidus et attentifs il les entourait pendant toute la durée de leur formation. Les actes officiels de son épiscopat, surtout ses décrets synodaux, contiennent sur ce point des prescriptions aussi nombreuses que détaillées. Or, on essaierait en vain d'y surprendre quelque chose qui ressemble à la recherche des vocations, au sens moderne de cette expression ; c'est-à-dire à la recherche d'âmes appelées de Dieu, en qui l'on aurait relevé les signes plus ou moins manifestes d'une prédestination au sacerdoce. D'après saint Charles, tout revient à chercher des enfants bien doués et à les former avec le plus grand soin.

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(1) DECERT, Histoire des Séminaires français, T. I, p. 38.

 

410. — Trois catégories d'enfants. Il en distingue trois catégories : étudions-les avec attention.

1° — Ceux qui d'eux-mêmes, spontanément, désirent être agrégés à la milice cléricale : " Qui vel sponte se clericali militiæ adscribi velit."

2° — Ceux qui, encore enfants, sont voués au sacerdoce par leurs parents : " Vel a parentibus adhuc infans destinetur (militiæ clericali)."

3° — Enfin, ceux qui sont recrutés par le zèle des curés (1).

On aura remarqué la seconde catégorie, et comment elle consacre une pratique de recrutement déjà usitée au moyen âge et dont saint Thomas s'était constitué le patron. Les parents ont donc le droit de vouer, d'office, leurs enfants au sacerdoce (N° 400).

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(1) Ubi primum Episcopus aut parockus aliquem norit, qui vel sponte se clericali militiæ adscribi velit, vel a parentibus adhuc infans destinetur ; hoc sedulo curet, ut ille quo diligentius, clericalis disciplinœ, vitœque religiosœ institutis primum imbuatur, Ecclesiam frequenter adeat... sicque multiplici ratione, cum paulatim et clericalis vitœ officiis obeundis et laboribus suscipiendis assuefiat ; tum discat etiam atque animadvertat, quod vitœ genus, si Ordinis sacramentum initiari vult, sequi debeat ; proindeque de re tota maturius ante deliberet.

 

411. — Recrutement intense par les curés. Mais il est facile de comprendre, par la teneur des recommandations de saint Charles, qu'il compte plus particulièrement sur la troisième catégorie, en laquelle il est facile de reconnaître le recrutement par voie d'autorité. Le prélat excite, à plusieurs reprises, l'activité de ses prêtres. Il leur demande instamment de préparer pour le sacerdoce le plus grand nombre possible d'enfants " quamplurimos potest pueros ". Le recrutement du clergé dépend de leur bon vouloir. La piété du pasteur éclate en ceci : le très grand nombre d'enfants qu'il gagne au sacerdoce (1).

412. — Initiative hardie et conquérante. D'après quelles règles les pasteurs devront-ils se porter à ce recrutement intensif? Se tiendront-ils dans l'expectative? Ou, s'ils prennent les devants, s'appliqueront-ils, du moins, à rechercher des appelés de Dieu ? Pas le moindre indice d'une pareille doctrine à travers les recommandations minutieusement détaillées de saint Charles.

Ses instructions se ramènent à ceci, qu'il répète sans cesse :

"Tâchez de conquérir au sacerdoce autant d'enfants que vous le pourrez ; choisissez de préférence dans la classe pauvre ; là prenez ceux qui sont d'un bon naturel et qui laissent concevoir l'espérance de devenir un jour, dans les saints Ordres, d'utiles ministres de l'Eglise. Prenez-les dès l'âge le plus tendre " ab ineunte pæne ætate (2). "

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(1) Hac ipsa in re valde etiam elubecit Parochi pistas, si quam plurimos potest pueras, prœsertim pauperes, bona indole prœditos, qui spem afferant, se sacris initiatos, Ecclesiœ ministros utiles fore, ad Ecclesiasticœ vitœ normam accurate erudiat.

Acta Ecclesiœ Mediolanensis Pars IV, p. 456.

(2) Ut ad Ecclesiœ ministerium complures instituantur, qui ab ineunte pœne œtate ad pietatem vitœque innocentiam cum litterarum doctrina conjunctam, accurate instructi, ei sancte utiliterquepost inserviant, illud unusquisque parochus valde studeat, ut quamplurimos potest pueros, prœsertim pauperes, bona indole pœrditos, qui spem afferant, se sacris initiatos, Ecclesiœ ministros utiles fore, ad ecclesiasticœ vitœ normam accurate erudiat, eosdemque prœterea cum ante, tum etiam in primis post susceptam clericalem tonsuram, ac deinceps minoribus ordinibus adstrictos, pro paternœ charitatis studio, optimis moribus clericali religioni congruentibus... bene informet.

Eorum autem singulorum mores, studia, litterarumque progressionem Episcopo parochus aliquando significet ; ut suo tempore vel in seminarium coaptati, vel alia quacumque via adjuti, pro œtatis ratione, proque ingenii captu, studiis gravioribus se dedere queant.

(Acta Ecclesiœ Mediolanensis, Pars Prima ; concilium Prov. IV, Pars II, ; Quœ pertinent ad sacramentum Ordinis) p. 115.

 

413. — Il n'est pas question d'appel divin à constater. Pas la moindre préoccupation d'appel divin avant. Pas davantage c'est-à-dire au cours de la formation cléricale. En effet, saint Charles, qui énumère, à plusieurs reprises, les conditions à exiger des ordinands, ne parle nulle part d'appel divin à constater.

414. — Tonsure. Voici, en premier lieu, ce qui regarde les aspirants à la tonsure : " Au sujet de ceux qui doivent recevoir la première tonsure, qu'on recherche et qu'on examine tout d'abord pour quel motif ils veulent devenir clercs. Serait-ce en vue d'échapper à la juridiction séculière ? Seraient-ils impliqués en des procès ? Sont-ils querelleurs et brouillons ? Qu'on s'inquiète aussi de leur profession et qu'on sache dans quel métier ou quel genre de vie ils ont vécu jusque-là. Sont-ils tels qu'ils donnent espoir d'être des ministres utiles à l'Eglise (1). "

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(1) De iis qui prima tonsura initiandi sunt, quœratur et investigetur primum quam ob causam se clericos fieri velint. An sœcularis judicii vitandi causa initiari curent. An contentiosis litibus implicati. An rixam smultatemque coerceant. Quod item artificium teneant ; quave in arte, quove in vitœ genere hactenus versati sint. An tales sint qui spem prœbeant Ecclesiœ ministros utiles fore. (Ibid. p. 214).

 

415. Examen des ordinands. Voici, maintenant, la matière de l'examen en vue de l'avancement aux divers Ordres. Après que le candidat a donné satisfaction au point de vue intellectuel, il doit répondre aux questions suivantes :

A-t-il le goût et l'habitude de la sainte oraison ?

Quelles sont les pensées qu'il a coutume d'agiter dans l'oraison mentale ?

Quelle est sa méthode d'oraison ; quel fruit, quelle utilité retire-t-il de ce saint exercice ?

De combien de parties se compose l'oraison et quelles sont ces parties ?

Quelles sont les règles de préparation à l'oraison ?

Telles sont les questions que l'on posera, et d'autres encore du même genre, selon que l'examinateur, prudent et pieux le jugera nécessaire, eu égard au sujet examiné ou à la cause de l'examen (1).

416. — Exhortation aux sous-diacres. La question de l'appel divin ne se présentera pas davantage dans les exhortations pressantes que Saint Charles Borromée prescrit aux futurs sous-diacres. La veille de l'ordination, une allocution de circonstance doit être adressée aux ordinands. Or, dit saint Charles : " C'est surtout aux sous-diacres qu'il faudra parler avec force pour qu'ils puissent pendant qu'il en est encore temps, délibérer plus sagement s'ils veulent embrasser la chasteté, qu'il est nécessaire de garder en cet Ordre. En cette grave conjoncture, qu'ils exa-

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(1) An in orationis sanctœ studio usuque versatus. — Quibus meditationibus instructus Deum tacitus oret. — Qui orationis modus. — Qui illius fructus, quœve utilitates. — Quot, quibusve partibus, illa constet. Quœ regulœ prœparationis ad orationem et cœtera multa ejusdem generis praut prudens, piusque examinator, pro ratione aut personœ de qua quœritur, aut causœ ob quam fit examen, opus esse viderit. (Ibid.).

 

minent donc avec soin ce qu'ils peuvent espérer d'accomplir avec la grâce de Dieu. Que, dans la réception de cette " charge ecclésiastique et spirituelle, ils ne fassent rien sous l'impulsion de leurs parents ou de toute autre volonté étrangère, mais de leur propre spontanéité. Qu'ils ne se proposent pas un genre de vie facile ou tout autre avantage de ce genre, mais qu'ils n'aient en vue que l'honneur de Dieu (1). "

Tels sont les principes de saint Charles pour le recrutement et la culture des vocations ecclésiastiques (2). Tout revient à chercher des sujets aptes, à les gagner au sacerdoce, s'ils ne le veulent pas d'eux-mêmes, ou s'ils n'y sont pas déjà destinés par leurs parents, et, enfin, de les former en vue d'en faire d'utiles ministres de l'Eglise. Ce sont exactement les principes que nous soutenons dans tout cet ouvrage. Nous ne pouvions trouver un plus digne couronnement pour notre seconde partie.

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(1) Verum ejus sermonis vis in subdiaconis potissimum monendis versetur, quo rectius, dum integrum est, deliberare possint, an castitatem quœ perpetua illi ordini est adnexa, profiteri velint, eoque accuratius propterea in gravi illa deliberatione videant, quid Deo auxiliante prœstare posse sperent, neque in illo ecclesiastico spiritualique munere suscipiendo quidquam agnatorum, vel hujusmodi aliena voluntate, sed sua spontanea deliberatione agant, nec vero in sacri ejusdem ordinis susceptione, vitœ hujus commodum, aut aliud quidquam ejusmodi, sed Dei honorem sibi propositum habeant. (Ibid. p. 218).

(2) " Cet incomparable prélat en eut toujours (de ses séminaristes) un soin très particulier, comme de la chose du monde qui lui était la plus précieuse et la plus chère.

C'est pourquoi, il voulait les recevoir lui-même au Séminaire, les regarder en face, s'entretenir avec eux en particulier et être fidèlement informé de toute leur conduite, pour n'y admettre que ceux en qui il reconnaissait des inclinations vertueuses ; et lorsqu'ils étaient une fois reçus, il n'oubliait jamais leurs visages et leurs noms, quelque grand qu'en fût le nombre.

Il visitait ordinairement deux fois l'année le Séminaire ; et, dans ces visites, il faisait examiner devant lui et les Députés spirituels, tous les clercs... Il s'informait auprès du Recteur et des autres ministres du détail de la conduite de chacun ; il avait des entretiens particuliers avec eux depuis le premier jusqu'au dernier, pour reconnaître leur génie, la qualité de leur esprit, le but et la fin qu'ils se proposaient, leur avancement dans la vie intérieure, les affections et les bons mouvements, dont ils étaient touches dans leur oraison. (Nul soupçon d'appel divin à constater).

... Il faisait ces visites du Séminaire avec tant d'exactitude et d'attachement qu'il y employait quinze jours à chaque fois, ne voulant point que, durant ce temps, on lui parlât de quelque autre affaire que ce fût. Outre ces visites ordinaires, il en faisait d'autres particulières, lorsqu'il survenait quelque chose de nouveau ; et très souvent, durant le cours de l'année, il y allait pour exciter par sa présence cette jeunesse à s'avancer avec plus d'application et d'ardeur. "

Vie de saint Charles Borromée, par GIUSSANO, trad. Cloysault. — Avignon, Seguin ; 1824. — T. I, p. 115.